Rowen Arganthe

« Il est une vieille femme, qui vit dans un endroit caché, connu de tous mais que bien peu ont vu. (…] Elle semble attendre que les personnes perdues, errantes ou en quête de quelque chose parviennent jusqu’à elle.

Elle est circonspecte, souvent velue, toujours grosse et fuit la compagnie des autres. Elle croasse et caquette et s’exprime plus par des cris d’animaux que des cris humains. […]

Elle se donne différents noms : la Huesera, la Femme aux Os ; la Trapera, la Ramasseuse ; et la Loba, la Louve.

La Loba a pour unique tâche de ramasser des os. Elle a la réputation de ramasser et de conserver surtout ce qui risque d’être perdu pour tout le monde. Sa caverne est pleine d’os de toutes sortes…] : cerfs, serpents, corbeaux. Mais on la dit spécialiste des loups.

Elle arpente les montagnes et le lit asséché des rivières et les passe au crible, à la recherche d’os de loups. Lorsqu’elle est parvenue à reconstituer un squelette dans sa totalité, lorsque le dernier os est en place et que la belle architecture blanche de l’animal est au sol devant elle, elle s’assoit près du feu et réfléchit au chant qu’elle va chanter.

Quand elle a trouvé, elle se lève et, les mais au-dessus de la dépouille, elle chante. C’est alors que la cage thoracique et les os des pattes du loup se recouvrent de chair et que sa fourrure pousse. La Louve chante encore et la bête s’incarne un peu plus ; sa queue puissante et recourbée se dresse.

La Loba chante encore et la créature se met à respirer.

La Loba chante toujours, un chant si profond que le sol du désert tremble et pendant qu’elle chante, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes et détale dans le canyon.

Quelque part durant sa course, soit du fait de sa vitesse, soit parce qu’elle traverse une rivière à la nage, qu’un rayon de lune ou de soleil vient se poser sur elle, elle se transforme soudain en une femme qui court avec de grands éclats de rire vers l’horizon, libre.

C’est pourquoi on raconte que si vous errez dans le désert au coucher du soleil, peut-être un tout petit peu égaré et sans doute fatigué, vous avez de la chance, car la Loba peut vous prendre en sympathie et vous montrer quelque chose – quelque chose qui appartient à l’âme. »

- extrait de Femmes qui courent avec les loups de Clariss Pinkola Estès

Tandis que le monde s’effondre autour d’elle, Rowen court. Ses petites ballerines de satin, gorgées d’eau et de boue éclatent tandis que ses pieds nus courent toujours, s’écorchant sur les pierres. Sa robe de satin n’est plus qu’une loque ensanglantée, noircie et les larmes creusent des sillons clairs sur le visage noircie par la suie. La jeune fille revoit les flammes et le brasier qui lui a fallu traverser, le feu mordant sa chair, la poutre rougeoyante faisant fondre sa peau laiteuse.

Elle court, elle monte des buttes, elle descend des pentes, les dents serrées, le corps tremblant de peur, elle fait la course avec la mort, la mort qu’elle a croisé personnifiée par l’homme encapuchonné de velours noir en train d’examiner les cadavres de sa famille.

Tandis que ses pieds s’envolent ou trébuchent, une ombre jaillit à ses côtés et vient se placer devant elle. Elle a le pelage immaculée cette louve et sa masse est énorme, puissante. Ses muscles roulent tandis qu’elle bondit, son regard mordoré scrutant les ténèbres.

Mue par un instinct dont elle ignore tout, Rowen suit l’animal, éperdue. Les champs ont succédés aux jardins et eux même laissent place à de vastes prairies qui bientôt se couvrent d’arbres tandis que les sous-bois se font de plus en plus touffus. La louve blanche mène la jeune fille vers le cœur de la forêt, le plus sombre mais aussi le plus inextricable. Elle la dérobe au regard de ces hommes, porteurs de mort et de peine.

Les ronces déchirent la peau tendre de cette femme encore enfant, le terrain se fait traître, plus glissant, les obstacles plus nombreux, plus difficiles à passer pour ce petit corps fatigué. La liberté a un prix qui lui faut maintenant payer pour être sauve.

Et Rowen se souvient alors de cette étrange visite il y a quelques années au manoir d’Arganthe. Un Norn immense et couvert de fourrures avait fait une halte. L’enfant qu’elle était alors n’avait jamais vu un membre de ce peuple et elle l’avait longuement observé, timide et un peu apeurée tandis qu'il mangeait aux cuisines. D’un geste, il lui avait fait signe d’approcher et le regard de cet homme avait longuement croisé le sien. « Tu es marquée par le loup », avait-il observé de sa voix de basse. « Mais tu dois d’abord passer le rite de passage et obtenir ta première cicatrice de combat. Alors le loup te révèlera et ne te quittera jamais plus. »

Cela avait beaucoup fait rire la maisonnée que la sage et studieuse fille de la maison soit comparée à un animal sauvage. Le surnom de « petite louve », simplifié en « Louvette » l’avait poursuivi longtemps tandis que le souvenir de cette étrange rencontre ne l’avait jamais vraiment quittée.

Tandis que le corps de Rowen cède à la souffrance et aux blessures, son regard croise celui de la louve blanche. Son souffle crée un nuage de fumée dans la fraîcheur de la nuit et elle est à cet instant, la plus douce et la plus belle chose que Rowen n’ait jamais vue.

Le tapis de mousse accueille les chairs meurtries et la Louve se couche à ses côtés, la fourrure de l’animal gardant le corps de la fugitive bien au chaud. Tandis que Rowen glisse dans l’inconscience, la louve veille, attentive. Au petit matin, un bruit dans les fourrés se fait entendre et la louve blanche gronde doucement, les babines relevées. Car un autre loup, sombre celui-ci vient de jaillir dans les fourrés et le regard des deux prédateurs se croisent et se fixent un long moment. Jusqu’à ce que la louve blanche se lève et, après un dernier regard sur le corps recroquevillé, se dissolve dans la brume du matin…

La part de l'Alpha...


Vallée de la Reine, une ferme au sud des Contreforts de Taminn

Les deux hommes regardaient la vache à moitié dévorée au milieu de champs d’un air circonspect.
« L’est revenue… » grommela l’un des deux, « ces saloperies de bestiaux se rapprochent de plus en plus du village… L’en dit quoi Ron ?
- Il comprends pas, jusque- là, ils descendaient pas… »

L’homme leva les yeux vers la pente boisé et les premiers contreforts montagneux. A flanc de falaise, les ruines d’un donjon, envahies par la végétation se dressaient sombres et menaçantes.

« Y’en a qui disent que c’est l’esprit du Baron qui les mène… ».

Il haussa les épaules. « Ron l’autre jour il a croisé cette carne de louve blanche. Il dit qu’elle a le regard humain et elle a échappé à toutes les battues…Ca sent pas bon… Ce foutu baron même mort nous cause encore des ennuis… »

Son interlocuteur s’approcha du cadavre de l’animal et s’agenouilla. « Va falloir la coincer et la descendre. Dis à Ron qu’il nous sorte les pièges, ça suffit. J’vais pas rester là à voir mes bêtes s’faire bouffer sans rien dire… »

Il leva lui aussi la tête vers les ruines qui dominaient toutes la vallée. « C’te idée de s’appeler baron de Hurlemort*, ça nous aura apporté que des ennuis. Faut en finir une bonne fois pour toute… »

Dans le regard de l’autre paysan, une lueur de peur brilla quelques instants. « Et si on s’retrouvait maudits nous aussi ? Comme le baron ? Hein ? »

Les deux hommes se regardèrent un instant, silencieux.


Contreforts du Voyageur, pavillon de chasse Starkhan

Rowen se dégagea doucement des bras de Cadfan, le regard rivé vers la porte d’entrée. Couché au pied du lit, Ylfingr leva un instant la tête, regarda la jeune femme, puis reposa la tête sur ses pattes avec un soupir.

Dehors, le soleil se levait et une légère brume flottait encore sur le lac gelé. C’était un spectacle magnifique et scintillant qui s’offrait à son regard tandis que ses pieds nus effleuraient la neige. Elle fit quelques pas encore pour venir à la rencontre de celle qui était apparue au détour d’une volute de brouillard. Le regard mordoré de la louve croisa celui bleuté de l’humaine et s’y accrocha impérieux et sérieux. Ses babines et son encolure étaient rouges de sang tandis qu’elle déposait devant elle le cœur de sa dernière proie encore fumant.

Sans quitter Rowen du regard, d’un grondement, elle baissa la tête pour en arracher une première bouchée. Mûe par une impulsion qu’elle ne connaissait pas, la main de la jeune femme se posa sur le cœur et un simple mot franchit ses lèvres.

« NON. »

Sans savoir pourquoi, Rowen était néanmoins persuadée qu’elle était en train de vivre un instant décisif. La louve blanche se dressa de toute sa hauteur et elle retroussa ses babines, émettant un grondement sourd et terrifiant.

La jeune humaine ne bougeait toujours pas, son regard calme ne lâchant pas celui de la louve. Elle s’était redressée et percevait des ombres sombres qui lentement l’encerclaient en grondant. Un seul geste de travers, et la meute l’attaquerait sans pitié.

Elle s’entendit gronder aussi, un long grondement d’intimidation. Le vent se leva alors, tourbillonnant autour d’eux, devenant bourrasque. Les longs cheveux noirs de Rowen se détachèrent de l’habituelle queue de cheval qui les retenait prisonniers et s’envolèrent comme électrisés.

Le temps se figea, se suspendit à ces deux créatures en train de gronder. La petite silhouette de l’humaine se redressa de toute sa hauteur, dominant la louve tandis que celle-ci avançait, reculait en grondant, claquant ses puissantes mâchoires dans le vide.

Le vent mugit et puis soudain tout s’arrêta, laissant Rowen étourdie et grelottante dans la neige. Le soleil enfin passa au-dessus du mamelon glacé en face du pavillon, nimbant l’habitation de ses rayons de lumière…

A l’intérieur, les loups s’étaient mis à gronder, indécis, ayant perçu quelque chose sans pouvoir dire exactement quoi…

[* Hurlemort, roman de S. Brussolo]

Promesse de sang

Concentré, expirant lentement, l’œil fermé, le chasseur suit du bout de son canon la bête qui court sur sa ligne.

De petites foulées lègères, Rowen a débusqué un gros lièvre. Elle ne veut pas le perdre de vue, salivant à l’avance de la manger ce soir en un civet bien préparé.

A la fin de l’expiration, le chasseur tire et le loup fait un énorme bond en l’air avant de s’abattre sur le sol, immobile.

Comme frappée en par un fil invisible qui se serait mis en travers de sa route, la jeune femme est litéralement propulsée en arrière tandis que sur son flanc une intense brûlure lui tire des larmes. Le souffle court, prise d’une peur panique, elle griffe le sol et rampe comme pour échapper à quelque chose.

Tirant son couteau, le chasseur s’approche du loup qui tente de rejoindre sa meute plus haut dans les collines en rampant, mortellement blessé sur son flanc.

Au moment où le chasseur donne le coup de grâce, Rowen hurle, un long cri de souffrance, de désespoir dont elle ne se souviendra pas. Ne laisse que ce vide, cette tristesse, cette immense sensation de perte, comme si on venait de lui arracher une partie d’elle-même.

De son promontoire rocheux, la louve blanche assiste à la mise à mort. Elle est triste pour le dernier né de la bande, celui qui n’avait pas encore les yeux ouverts aux dernières neiges… Sa tête se renverse et elle pousse un long hurlement où éclate son chagrin mais aussi la promesse du sang versé pour venger ce frère parti trop tôt.

Et bientôt une colère sourde monte en elle. La jeune femme serre les poings tandis que son regard étincelle. Retrouver les meurtriers de son amie Deena, exploratrice au Prieuré est devenu sa priorité. Bien plus que ce traité de nécromancie dont la perte donne apparemment bien du soucis à ses membres.

Une louve blanche hurle dans la nuit, rejointe par ses frères et sœurs de meute.

Une jeune femme dresse le poing, et en appelle à la vengeance.

Deux volontés tendues vers un but.

La chasse sera sanglante ou ne sera pas. Mais à cet instant, leurs deux volontés se joignent, se mêlent et s’entremêlent.

L’espace d’un instant, elles ne font plus qu’une.

Le temps d'une promesse de sang.

Traque de sang (partie 1)


Rowen leva les yeux vers l’immense donjon en ruine qui la dominait. Le fonds de la nuit avait quelque chose de glacé, d’oppressant. Un peu surprise –mais pas tant que cela dans le fond, elle s’aperçut que tout ce qui l’entourait était sans couleurs, se déclinant simplement en une mosaïques de gris, de noir et de blanc. Un grondement et il était là, l’alpha de la meute d’Hurlemort, son collier de fer hérissé de piques portant les armes des Arganthe.

Le loup massif la regardait, les babines remontées. Tout autour de lui, la meute jappait, allait et venait, d’une nervosité que la jeune femme femme n’avait pas constatée lors de la première rencontre. Les traces de crocs sur son avant-bras se mirent soudain à la picoter, puis à la brûler tandis qu’au fond d’elle montait une étrange excitation, mêlée de colère et de peur. Avec étonnement, les mots s’imprimèrent simplement dans son esprit.

L’alpha avait décidé d’une traque de sang.

Rowen ignorait si ce procédé était commun aux autres meutes mais concernant celle-ci, elle savait très exactement de quoi il retournait. Un ennemi était entré sur le territoire de ces loups sauvages, un ennemi suffisamment dangereux pour que tous sans exception se lancent corps, esprit et âme dans une chasse où la mort serait la seule issue. A ce moment précis, ils étaient connectés comme ils ne l’avaient jamais été tandis que la présence du dernier né défunt planait sur eux.

En temps normal, la rôdeuse aurait secoué la tête face au danger. Elle n’avait jamais été une combattante et en y réfléchissant bien, elle n’avait jamais été attirée par l’être un jour. La jeune femme préférait de loin analyser, observer, comprendre, démêler des informations plutôt que de plonger sans réfléchir au coeur d’une mêlée dont elle savait ne pas maîtriser les tenants et les aboutissants.

Mais ce moment était particulier elle le savait et déjà l’esprit de la meute s’emparait d’elle tandis qu’elle résistait encore un peu à cette force qui tentait de la submerger, exacerbant ses émotions, la faisant se sentir plus vivante, plus sensible qu’elle ne l’avait jamais été. Penchant la tête en arrière, Rowen se mit à hurler, s’apercevant que son cri résonnait avec celui de tous les loups de la meute.

Mue par une seule volonté, menées par leur alpha, les bêtes s’élancèrent fendant le nuit, zigzaguant dans la végétation, sautant au-dessus des obstacles, se gourmandant un peu violemment lorsque deux congénères se percutaient.

La jeune femme courait avec eux, les pieds légers, la tête en feu, se sentant libre, aérienne et guidée par un instinct qui la laissait pantelante et éblouie. Rowen vibrait au même rythme que cette meute, trottinant aux côtés de l’alpha, le cœur prêt à exploser tellement elle se sentait fière, honorée et à l’unisson avec ces loups.

Et puis soudain, la course s’arrêta aussi brutalement qu’elle avait débutée. Montrant l’exemple, l’alpha tasse sa masse imposante, pliant les pattes, se déplaçant lentement presque au ras du sol. Derrière lui, sa meute fit de même et comme si cela lui était naturel, l’humaine en fit autant, à moitié à quatre pattes, à moitié rampant dans la boue.

La traque les avait menés à leur objectif….

Traque de sang (partie 2)


La Bête se dressait là, dans toute sa splendeur terrifiante. D’allure racée semblable à un loup, tous les traits nobles de la bête semblaient déformés en une parodie simiesque de grandeur décadente... Quelque chose de malsain, une énergie incroyablement oppressante suppurait par tous les pores de cette peau ressemblant à du cuir d’un noir luisant. D’immenses crocs démesurés formait une mâchoire acérée ressemblant à une forêt de lances osseuses recouverte d’une sorte de bave acide qui, lorsqu’elle tombait au sol, répandait une sorte de boue noire qui faisait fondre tout ce qui se mettait sur son passage. Ses pattes puissantes étaient maintenant terminées par des griffes énormes qui s’enfonçaient profondément dans le sol. A bien y réfléchir, cette créature tenait bien plus du chien que du loup…

Un molosse…

Le regard bleu glace se posa sur la jeune femme, semblant vouloir la transpercer. Cette chose était d’une immobilité parfaite et ce manque de mouvement handicapait gravement la meute de Hurlemort qui perdait un de ses repères les plus fiables. Les loups se déployaient tout de même en un demi-cercle pour tenter d’encercler leur proie.

Une voix retentit alors, une voix grave, grondante, chargée de colère, une colère froide et retenue. « La mort n’est que le commencement. Bienvenue à toi, Amok*. »

Rowen le regardait sans comprendre, la gorge nouée, les mains serrées autour d’un…Arc ? Oui, l’arme venait de se matérialiser dans ses mains. Elle se dressa lentement, couverte de boue, la peur chevillée au cœur, une peur primale, ancestrale. Celle qui vient vous réveiller la nuit en sursaut, une sueur glacée sur toute l’échine. Pas la peur de ce que l’on ne connait pas, non…

La peur de ce que l’on connait que trop bien.

Un mouvement. La silhouette sombre de l’alpha bondit, un bond prodigieux qui le fit déraper lorsqu’il se réceptionna aux pieds de la créature, les crocs retroussés, grondant d’une telle force que c’en était presque assourdissant. Le regard des deux bêtes se croisa, celui jaune du chef de meute et ce regard bleu si vif. Le temps sembla se suspendre, se distordre.

Une des pattes de l’abomination bougea.

Ce fut le signal pour la curée.

« Laisse parler ta colère, Amok… » La voix résonnait tout autour de Rowen tandis qu’elle levait son arc bandé, l’air concentré. « Pense à la vengeance que tu dois aux tiens, petit rayon de lune. Laisse toi aller à ce sentiment, Rowen. Sens la Bête au fond de toi et libère là, laisse la aller, te guider… Ne sens tu pas combien elle t’appelle en cet instant ? »

La meute s’élança à la suite de son alpha, concentrant son attaque sur les pattes arrière. C’était une proie difficile, cette immense créature inerte que l’attaque d’une meute ne semblait pas vouloir faire fuir. La rôdeuse sentait dans sa connection avec eux qu’ils ressentaient cette même peur sourde et ancestrale qui venait de faire trembler ses mains tandis qu’elle visait cet ennemi de sa flèche.

Tout s’accéléra alors et tandis que le bout de bois empenné prenait son envol, l’immense créature s’ébroua à une vitesse folle, lacérant de ses griffes, projetant de ses larges crocs les bêtes qui l’avaient attaquées.

« Ton lien n’est pas complet, Amok ! Ils ne sont pas assez forts ! »

Un rire grave et dément éclata tout autour d’eux.

Le monstre se déplaça alors et l’instant d’après il était au-dessus de Rowen, l’effleurant de son souffle fétide. « La mort n’est que le commencement, fille Arganthe. Et tu viendras bientôt à moi, Amok… »

La gueule énorme s’ouvrit alors et enserra de toutes ses forces le poignet de Rowen qui se mit à hurler à l’unisson avec la meute.

Puis ce fut les ténèbres. Elles tombèrent sur eux aussi soudainement qu’une pluie d’été. L’obscurité se fit soudain colonne de fumée comme si elle était attirée par la personne qui se trouvait maintenant en son centre.

Les deux femmes se faisaient maintenant face. Même taille, même regard bleuté . Pour le reste, elles étaient l’exact contraire de l’autre. La peau laiteuse et les cheveux noirs pour Rowen et la peau noire et les cheveux blancs de l’inconnu.

Le visage de celle-ci se fendit d’un sourire chaud, rassurant. « Il est temps pour toi de partir, fille des loups. Ta place n’est pas ici."

La rôdeuse eut l’impression d’être repoussée brutalement et de tomber.

(*L'amok est un comportement spécifique à la culture malaisienne, par lequel le sujet, pour venger la mort de l'un des siens ou simplement une insulte, « court l'amok » et tue autant de personnes qu'il le peut jusqu'à ce que lui-même soit mis à mort. Par extension, le terme désigne un forcené et une maladie mentale dont le symptôme est la grande propension du sujet à injurier ceux qui l'entourent.)

Devenir le Coeur de la Meute.

La rôdeuse marche, sans réfléchir où elle va, comme assommée. Le choc est violent quand elle heurte de plein fouet les jambes du Norn qui lui assène un « Faut regarder où tu vas petite dame ! » sec avant de reprendre sa route, indifférent à sa détresse, sa douleur.

« Face à la peur », lui a dit le chamane du Loup, « il n’y a que deux choix possibles… »

Se battre. Ou disparaître.

Rowen tombe à genoux dans la neige, l’émotion est trop forte. La rage de sa louve est comme à chaque fois un coup au cœur, une souffrance insupportable qui fait chavirer son esprit, éveille en elle quelque chose dont elle ne veut pas.

La sauvagerie. L’envie de carnage.

Les flocons tourbillonnent autour d’elle mais la jeune femme ne les voit pas. Comment affronter un ennemi qui nous terrifie et qui nous amène à chaque fois sur son terrain ? Car sa blessure au poignet n’est pas physique, elle est de nature spirituelle. Quelque chose, une entité est en train de saper lentement mais doucement le cœur de la meute d’Hurlemort. Cet esprit puissant et malfaisant est en train de rendre Ivorine folle, lui inspirant colère, haine, rage.

« Tu dois amener cet ennemi sur ton terrain, ma jeune amie », lui a dit le chamane, compatissant.

Mais la jeune femme n’est pas taillée pour l’affrontement. Elle n’est qu’une cartographe du Prieuré qui souhaite vivre en paix avec ses loups et son époux. Découvrir le monde et le retranscrire sur des cartes étaient ses seuls rêves il n’y a pas si longtemps.

Se battre.

Ou disparaître.

Rowen ferme les yeux, un instant, oui l’espace d’un instant, elle souhaite disparaître. Abandonner. Baisser les bras, la tâche est par trop impossible.

Mais la rôdeuse secoue la tête et serre les dents.

« L’échec n’existe que si nous abandonnons ».

« Mord et hurle plus fort que la Bête ».

Ses poings se serrent tandis que le regard bleuté de l’humaine croise celui mordoré de sa louve. Elles n’ont pas le choix, la survie de la meute en dépend.

Il va falloir se battre.

« Je suis l’Amahan Iduth de la meute. » lâche t-elle, d’une voix de basse. « Je suis l’esprit de la meute, son souffle de vie, sa patience et sa logique. Semblable à la Lune, je crois et décroît aux rythmes et respirations de mes loups. Tantôt sombre et cachée, je traque et je chasse. Tantôt ronde et éclatante, je dévoile ma douce lumière pour éclairer la voie et en écarter les dangers. »

Ivorine s’avance alors et sa tête vient se poser sur la poitrine de l’humaine. « Nous sommes l’Amahan Iduth, Celle-dont-le-Murmure-Blesse. Toi et moi, ensemble. Nous ne sommes qu’une, une et une seule et même entité. »

Un barrage cède dans l’esprit de la louve et de l’humaine. Le dernier, celui que la peur et l’appréhension de Rowen retenait encore. Les deux volontés se rencontrent enfin, sans rien pour les retenir. La colère, la rage et la haine se mélangent à la douceur, l’esprit rationnel et scientifique, la réflexion.

La Bête va à la rencontre de la Femme. La Femme va à la rencontre de la Bête.

La Loba a finit de chanter. Le rituel est complet. La Louve qui était un squelette peut se dresser sur ses pattes et courir éperdue de joie et de liberté. Et cette louve n’oublie pas qu’au détour d’une rivière, d’une route ou d’un rayon de lune, elle se transforme en femme qui danse et chante.

La libération.
L’espoir.

Le regard de Rowen monte vers le ciel et un cri auquel se mêle le hurlement de sa louve fait retourner quelques Norns. Dans le Pavillon du Loup, un chamane écoute. Au loin, très loin à l’ouest, une meute de loup se lance dans un concert de hurlements à l’unisson avec leurs deux sœurs de meute. La voix puissante d’un homme se mêle à eux.

Chacun a trouvé sa place en son sein. La meute est de nouveau forte, solide et déterminée.

Elle est prête à se battre.

(spéciale dédicace à mon chamane du Loup préféré sans qui cette révélation n'aurait pas été possible!)

Extrait du journal de Rowen

On tient le coup. Je ne sais pas comment mais on tient le coup.J’ai libéré quelque chose l’autre jour avec Ivorine, quelque chose de puissant, quelque chose qui a irrémédiablement bouleversé nos existences. Ils sont là, en permanence avec moi. Si je me concentre, je sens chaque
battement de leurs cœurs, chaque odeur qu’ils reniflent, leurs coups de dents lorsqu’ils se chamaillent ou leur chaleur au contraire quand ils se serrent les uns contre les autres dans la nuit froide.

Mes loups sont en permanence avec moi. Je vis avec eux, ils vivent avec moi. A des centaines de kilomètres de distance, nous ne parvenons même pas à atténuer ce contact. Par quel miracle en suis-je arrivée là ? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais cette rage de survivre, de vivre ne me
quitte pas. J’ai transformé la colère en hargne, la haine en férocité, l’impuissance en volonté.

Sans ma louve, sans son soutien et sa guidance, je ne serai plus rien. Sans ma meute, je ne serai plus en vie, qu’elle soit celle de mes loups ou celles des Hommes. On tient le coup. Tous. Il n’y a que cela qui importe.

Le mal progresse. Je sais que quelque part un sablier, celui de mon existence s’écoule. Je ne veux pas y penser, je me refuse à vivre sous cette épée de Damoclès. Je ne minimise rien mais j’avance, même si je dois serrer les dents. Il n’est pas temps de pleurer sur son sort. Ce sont les
faibles et les lâches qui pleurent. J’ai choisi de me battre. Pour ne pas disparaître.

Je veux vivre. Je veux tellement vivre que c’en est douloureux. Etrange paradoxe… La vie devrait juste être paisible, lumineuse, tranquille. J’apprends chaque jour un peu plus du monde des Hommes et de ses bassesses, de ses grandeurs. Le monde des Bêtes est bien plus…*rature*

Nous sommes sur la Côte de la marée Sanglante avec Cadfan. Je sais, je sens qu’il est inquiet même s’il ne dit rien. Nous sommes sur la trace de cette femme à la peau noire. Je sais qu’elle a de nombreuses réponses. Je sais aussi que cela ne sera pas facile de les obtenir.

J’apprends un peu plus chaque jour. Je suis ma louve aveuglément dans les chasses qu’elle partage avec moi. Je suis aveuglément cet homme pour qui je donnerai ma vie sans hésiter et qui en ferait de même pour moi. Je leur donne tout mon amour. Je garde pour les autres ma méfiance, ma prudence et ma retenue.

J’ai peur parfois le soir tard lorsque le sommeil tarde à venir. J’accepte cette peur comme tous le reste, j’apprends d’elle, j’essaie de la dompter pour que le moment venu, mon bras ne tremble pas et que ma volonté ne cède pas.

Je sens ce mal qui s’éveille en moi, je lutte, nous luttons. Jusqu’à notre dernier souffle, nous lutterons. Lorsque nous ramperons au sol, nous continuerons de lutter. Si cette chose nous veut, il faudra qu’elle arrache chaque parcelle de notre courage, de notre détermination, de notre
entêtement à vouloir vivre et se battre. Nous vendrons chèrement nos peaux de loups. Et si nous tombons, nous tomberons ensemble avec la satisfaction de pouvoir se dire : « Nous sommes morts comme nous avons vécu. En dignes enfants de l’Esprit du Loup ».

Je suis Rowen Starkhan mais je suis aussi l’Amahan Iduth, Celle- qui-rayonne- sur- la- Meute. Je n’ai pas le droit de faillir. Je n’ai pas le droit de condamner ma meute aux Ténèbres. L’échec n’est pas une option que je conçoive ou que j’envisage.

Ce sera vaincre.

Ou mourir.

Entre les deux, il n’ y a rien.

Le voyage

Sa louve trottinant tranquillement à ses côtés, Rowen marchait dans une gigantesque plaine rocheuse. Sur un petit promontoire, une haute silhouette se détachait près d’un feu.

La jeune femme pressa le pas, tandis qu’Ivorine bondissait joyeusement en direction de l’inconnue pour se jeter sur elle et lui faire la fête. Un instant, la rôdeuse resta interloquée devant le comportement de sa sœur animale, tellement il lui était peu habituel.

Riant, la Norne tentait de se dégager sans grande conviction. Elle était assez âgée, une cinquantaine d’années que trahissaient des rides profondes en patte d’oie au coin d’yeux gris pétillants de malice. Une longue chevelure brune striée de fils argentés dévalait emmêlée et libre jusqu’à sa taille, parsemée de colifichets, liens de cuir et petits ossements. Une simple robe de cuir retenue sur le côté par des lacets la vêtait. Ses pieds étaient nus, de bracelets de perles colorés ornaient ses poignets et ses chevilles. La peau mate était recouverte de tatouages tout en spirales et entrelacs compliqués. Son visage reflétait la joie de vivre, la bonté et la sérénité.

Ivorine dans un râle de contentement finit par se coucher au pied de l’inconnue, posant son museau entre ses pattes. Le regard clair se tourna alors vers la jeune humaine. « Te voilà enfin Amahan Iduth ! Tu en as mis du temps pour venir jusqu’ici ! »

Rowen fronça les sourcils sans vraiment être étonnée. « Salut à toi ! Tu me connais donc ?»

Un rire joyeux lui répondit. « Je t’attends depuis un bon moment oui. Viens donc t’assoir au coin du feu. Nous avons à partager. Je suis Aïokine Passebrume.

- Drôle de nom. On est où Aïokine ? » Rowen jeta un regard alentour.

« Difficile à dire…Dans ton rêve ? Cela te convient-il louvette ? Quelque part entre ma réalité et la tienne… Tu peux le modifier à ta convenance. Ici, seule la force de ta volonté fait loi… »

La jeune femme s’assit sur une pierre hochant doucement de la tête. « Avec ce qu’il s’est passé ce soir, plus rien ne m’étonne tu sais. Tu es chamane ? En tout cas fille du Loup vu le comportement d’Ivorine … »

Aïokine se pencha vers le feu. « Attention à ne pas faire de préjugés trop rapides. Mais tu as raison cette fois-ci, je suis enfant proche de Loup. Autrefois je fus son havroun au sein de mon peuple. C’était il y a longtemps. Je crois… Ici ni l’espace, ni le temps n’ont de prise… J’ai donc fini par m’en détacher…»

Rowen se figea, abasourdie. « Un havroun ?! Vraiment ? Mais ! Incroyable ! Je suis honorée ! Je…Tu me veux quoi ? .. . ». Elle était soudain intimidée de se voir le centre de tant d’attentions. Quelques heures plus tôt, l’Esprit du Loup avait daigné se manifester auprès d’elle et de ses amis afin de la guérir du mal qui la rongeait.

Aïokine hocha la tête doucement regardant la rôdeuse. « Oui c’est une chose rare et précieuse qui t’ai arrivé jeune louve. Mais à laquelle je ne suis pas étrangère, je l’avoue. Je t’ai fait venir ici pour te raconter une histoire. Car de tous ses protagonistes, tu restes celle qui doit en connaître les moindres détails… »

La main de la Norne se posa sur la tête d’Ivorine.

« De ta compréhension naîtra la solution, jeune Arganthe. Tu es l’Amahan Iduth. Dans la langue des esprits, le mot cœur et esprit est le même. Tu es le cœur de la meute mais aussi son esprit. Tu avais commencé à cerner ton rôle déjà en parlant d’éclairer la voie telle la ronde lune. Je vais te donner aujourd’hui de quoi les guider. Ce que tu en feras t’appartient par contre. Je ne peux que transmettre. Tu interprèteras comme bon te semblera… »

La havroun sourit, un sourire plein de chaleur et de tendresse. « Installes-toi confortablement, cœur de louve. Cette histoire est longue et je crains d’être une incorrigible bavarde… »

Rowen secoua la tête. « Qu’est ce qu’il m’est arrivé Aïokine ? J’ai tellement de questions ? C’était quoi ce masque ? Pourquoi est-il arrivé à moi et pourquoi la Bête aurait-elle voulu me corrompre ? »

La Norne ne répondait rien, visiblement amusée.

« Ne ris pas, sœur. Loup est venu jusqu’à moi pour me guérir mais je me pose d’autant plus de questions. Tu n’imagines pas tout ce qui tourne dans ma tête en ce moment. Et combien en même temps, j’angoisse à l’idée de comprendre… »

Aïokine se leva et se dirigea à grandes enjambées auprès de Rowen. « Crois-tu que je sois là pour te regarder te débattre et ne pas te saisir par la peau du cou pour te remettre sur le chemin louvette ? »

La rôdeuse pencha la tête pour plonger son regard dans celui de la havroun. « Je sais plus grand-chose tu sais. Je me sens ballotée d’un événement à l’autre, tout m’échappe, tout file sans que je ne puisse le rattraper… »

La grande silhouette s’assit à côté de la jeune femme en soupirant. « Et comment pourrais-tu faire autrement ? Cette histoire remonte tellement loin dans le temps…Elle commence loin dans un pays que l’on nomme Cantha… »

Extrait du journal de Rowen

Il faut avancer dans cette existence. Coûte que coûte, il nous faut poser un pas après l'autre. On voudrait s'assoir et fixer le vide parce qu'on est trop fatigué, parce qu'on a mal, parce qu'on a plus la force. S'arrêter, c'est renoncer à demain, c'est fermer les yeux sur la vie et ce qu'elle a à nous offrir. Parce qu'il me reste ce stupide espoir, alors j'avance.

J'avais la tête pleine de rêves et d'idéaux. J'avais foi en mon prochain, une foi inébranlable et sereine. Tu as tout emporté avec toi, mon tendre amour. Tout à l'exception d'une chose. parfois, je prends une bouffée de tabac, je regarde le ciel et je me rappelle alors de cette Maison des Vents que tu voulais nous voir construire. "Une Maison qui n'a pas de murs, louve de mes nuits", disais-tu alors. "Une maison où tous les rêveurs, poètes et gens heureux se retrouveront, se reconnaîtront."

Je vais souvent dans ce sanctuaire tu sais dans les Chutes de la Canopée. C'est là que tu m'as demandé en mariage mais surtout c'est là m'as-tu encore dit que je suis sûre de te trouver. Alors je regarde les loups en contrebas et j'écoute la chanson du vent y cherchant tes accents.

Je suis revenue à Hoelbrack après avoir accompagnée Morterune dans son Ultime Défi. J'ai conté son histoire pour ne pas qu'on l'oublie. Mais je ne peux conter la tienne, les mots ne peuvent pas franchir ma bouche. Ils m'empêcheraient d'avancer. Alors je me tais, le regard sec et le coeur à la dérive. Il n'est pas un instant où ton absence ne me morde cruellement et l'âme et la chair.

Mais il me faut avancer, mon aimé. Alors je quitte ton sanctuaire végétal et je reviens vers le monde. Je n'ai pas le choix, il me reste encore des choses à faire.

Pour honorer ta mémoire.
Pour moi.
Pour tous ceux qui restent.
Pour la meute.

J'avance.

Extrait du journal de Rowen

"Il m'a fallu deux longues années pour que je m'extirpe de ma chrysalide. Je suis passée par divers stades, certains m'ont conduit à la folie, d'autres à la plénitude la plus parfaite, la plupart ont été. J'ai librement choisi ma route, j'accepte donc et je reçois tout ce qui m'est arrivé, je chéris tout ce que j'ai perdu.

Je repars de zéro. Trop de souvenirs dans ces monts enneigés nornes, des souvenirs qui parviennent encore à faire saigner ces blessures trop fraîchement cicatrisées.

J'ai rejoint le Monde des Hommes. Pour un moment car je sais que bientôt, mes pieds fourmilleront de nouveau et l'appel des grands espaces me fera tourner la tête.

On m'a proposé un travail de serveuse au Promontoire. Il y a un an de cela j'aurai craché au visage de celui qui m'aurait proposé cela. L'idée même de m'enfermer dans une ville me terrifiait. Aujourd'hui, j'ai accepté. Parce que j'ai besoin d'argent, parce que j'ai besoin de me réconcilier avec mon monde d'origine.

Je vis le présent, savourant chaque instant qui me dis "tu es encore en vie, sois emplie de gratitude." Ce qui sera demain, je n'en ai cure pour l'instant. Une nouvelle page s'écrit."

Extrait du journal de Rowen

Je ne pensais pas mon retour au Promontoire si riche en rencontres. J'imaginais que je ferai halte dans cette ville sans qu'on ne prête attention à moi, faisant mon travail, continuant mon entraînement en attendant de pouvoir repartir. Encore une fois, je n'avais pas la moindre idée de ce qui pouvait surgir.

Tout d'abord le passé a refait surface de la plus étonnante des manières. Ronce m'a contactée et j'ai été agréablement surprise de voir combien il s'était apaisé. Il partage sa vie désormais avec une charmante jeune femme nommée Melissa qui attend un enfant. J'ai accepté d'occuper la chambre de Cadfan au manoir, même si ce fut difficile. Ronce et Melissa sont la seule famille qui me reste et que je n'aurai jamais. Il me semblait improbable de me tenir loin d'eux.

J'ai revu le Vicomte Arawn. Il a fallu que je me fasse violence pour que je réalise qu'il était le dernier allié qui me reste en ce bas monde. Nous sommes si peu de choses face à nos ennemis! Si peu que je doute sincèrement que nous puissions triompher. Je déteste ce nécromancien, il est encore pire que ses semblables mais nous tendons vers le même but, je serai folle d'ignorer cette main tendue. Et il me déplaît de le croire mais nous avons bien plus en commun que je ne veuille l'admettre...

J'ai accepté ce poste de serveuse à plein temps au Murmure. J'y suis bien, je m'y épanouis. Ce qui au départ ne devait être qu'une couverture bien pratique pour me fondre dans la masse est devenu quelque chose de plaisant. Et puis il a Joey. Comme toutes les choses qui me touchent de près, je n'ai pas encore voulu regarder certaines choses en face. Je me sens encore liée à l'esprit de mon défunt époux et oser aimer quelqu'un d'autre me laisse comme un goût de trahison dans la bouche. Mais je sais que mon coeur de nouveau s'éveille et se réveille et qu'il n'y a parfois pas à lutter, juste à lâcher prise et se dire que peut-être on pourra être heureux.

Nos ennemis se pressent de nouveau dans notre sillage. Malgré tous mes efforts, ils m'ont retrouvée, essayant de me condamner enfin au sort abominable qu'ils ont prévu pour moi. Pour l'heure, je tiens la distance, même si le prix à payer a été très cher. Le problème étant qu'ils semblent avoir toujours un coup d'avance et que je ne peux que parer et contrer leurs actions. Je me tords les méninges à échafauder des plans qui me permettrait enfin de prendre l'initiative. Il y a peut-être une opportunité qui se dessine. Je l'ai remise entre les mains du Vicomte, j'ose espérer que sa pratique de la nécromancie est à la mesure de sa réputation...

Dans cette tourmente qui se prépare, je me tourne de toutes mes forces vers Frère Loup. Puisse t-Il abaisser son regard vers nous et nous protéger tous.

[RECIT COMMUN A PLUSIEURS PERSONNAGES, écrit à plusieurs mains]

“Tu es sûre que c’est là, Asra?” murmura Rowen, les sourcils froncés.

Le regard blanc d’Amarane se tourna vers la rôdeuse et la voix rauque lui répondit “les énergies mortifères qui sont à l’oeuvre ici sont celles de mon ancien maître, il n’y a aucun doute là-dessus.”

Du bruit se fit entendre derrière les deux jeunes femmes tandis que d’autres silhouettes prenaient place à leurs côtés. La haute et large stature du seigneur Arawn, dont le visage ne trahissait absolument aucune expression. Seuls ses yeux en mouvement trahissaient son intérêt. Engoncée dans une armure solidement sanglée, deux dagues rougeoyantes sur les hanches, la flamboyante Aisleen activait à son tour ses détections magiques élémentaires, à l’affût.

Etrange équipage que constituait ce groupe d’aventuriers. Et pourtant ces êtres avaient su dépasser leurs différences, leurs rivalités et leurs haines pour se rassembler sous une même bannière afin d’abattre une bonne fois pour toute un ennemi commun.

En contrebas, des ruines ascaloniennes s’étendaient, semblables à bien d’autres dans la région maintenant occupée par le peuple charr. Rien ne trahissait que l’ennemi fut là et pourtant, Amarane semblait sûre que la Comtesse et sa secte impie se trouvent ici.

“Il n’y a rien ici, à part la mort et la désolation...” finit par lâcher Aisleen, d’un air dédaigneux, son regard émeraude transperçant la frêle nécromancienne. “J’ose espérer que vous ne nous conduisez pas dans un piège... Je serai ravie de vous planter...

- Ys...Ca suffit.” La voix grave du vicomte couvrit celle de son épouse, d’un ton las. L’inimitié entre Aisleen et Amarane ne datait pas d’aujourd’hui, une longue et douloureuse histoire liant ces deux femmes. “Fae, je te rapelle qu’elle porte toujours la marque du rituel de la comtesse...” expliqua Aisleen avec vivacité. “Je reste persuadée qu’elle peut se retourner contre nous à tout moment...”


L'ambiance mortifère de l'endroit,le murmure lancinant du vent...Tout cela il y a quelques temps je l'aurai simplement ignoré,gommé de mon esprit presque machinalement. Aujourd'hui cela m'était difficile,étrangement je me savais plus puissant que je ne l'avais jamais été mais je me sentais vulnérable .

La plus grande partie de notre plan reposait sur cette fragile alliance qui ne reposait pas sur une confiance entre nous mais sur la même haine d'un ennemi commun...Dans la fureur du combat qui de cette haine ou des ressentis du passé l'emporterait?

Dire que Rowen déteste la nécromancie est tellement en dessous de la vérité et pourtant elle guide deux experts de cet art...Ysline et Amarane sont à l’instar d'Ivorine prête à se jeter à la gorge l'une de l'autre à la moindre occasion..quant à mon épouse ..l'avoir ainsi à mes cotés,si proche mais pourtant inaccessible, est autant une joie qu'une torture!

Je posais mon regard sur les ruines antiques et sentais plus que je ne les voyais réellement les spectres défunts,vestiges d'une guerre pour certains depuis si longtemps oubliée pour moi si cruellement claire dans ma mémoire.

"Je sens la mort ici Mo Chroi et cela n'est pas une vaine formule d'un saltimbanque sur une foire". Afin d'adoucir la secheresse de mes mots je posais ma main sur son épaule, me nourrissant de la chaleur de ce simple toucher,puisque ma propre fille nous avait interdit par un cruel jeu de dupe tout autre contact.

Moi le joueur d’Échecs qui aimait avoir toujours plusieurs coups d'avance, pour une fois sur une partie si décisive j’avançais presque à l'aveuglette... Notre plan me semblait correct et j'avais en réserve deux options dont l'une reposait sur ma fille,son besoin désespéré de reconnaissance et le fait que je ne la pensais pas capable de sacrifier Amarane sur l'autel de ses desseins.

La dernière remarque de ma chère Ysline n’était pourtant pas sans faire écho à certains de mes doutes...Amarane reconnaissait en ces lieux les traces magiques de son ancien maître certes mais duquel parlait elle?....

Je plongeais mon regard dans celui de mon épouse ,y découvrant une flamme aussi implacable que celle que je devinai dans mon regard,il n'y aurai pas de demie mesure, le temps des masques était tombé.

"Mo Chroi..nous nous battrons tous ensemble ou nous périrons séparément telle est la cruelle et nue vérité... Amarane a perdu beaucoup,nous avons tous ici énormément perdu ,il est temps pour la vengeance . Prépares toi plutôt à devoir faire face à notre fille ....N'oublions pas que la Bète jouera sur la moindre faille dans notre improbable alliance..alors ne lui facilitons pas les choses plus que de raison".

J'enroulais une mèche flamboyante autour de mes doigts et la portais à mes lèvres en un chaste baiser..cela Andrea je puis me le permettre sans pour autant briser le vœux que tu as arraché à ta mère. Je me découvre étrangement indulgent envers toi ma fille ,mais de cela par contre tu devras en répondre devant l’héritier de la lignée.

Rowen leva la main en un geste d'apaisement. De tous, c'est elle qui maintenait la fragile sérénité au coeur de ce groupe. La rôdeuse avait cette assurance tranquille qui savait aplanir les remarques acerbes, regards haineux et autres marques de mésentente. Elle s'était imposé tout naturellement pour mener la troupe, la dirigeant de sa force tranquille. Elle pensait parfois à la jeune écervelée qui s'était lancé à l'aventure il y a trois ans pour rejoindre l'homme de sa vie. De la jeune apprentie du Prieuré, il ne restait rien et sa joue balafrée lui rappelait sans cesse le prix qu'elle avait dû payer sur l'autel de la folie de la Comtesse.

"La nuit ne va pas tarder à tomber. On revient un peu en arrière à la lisière de la forêt et on monte le camp. La meute a repéré l'endroit parfait pour nous. Suivez moi."

A grandes enjambées, elle ouvrit la voix tandis qu'Amarane reprenait conscience avec le monde matériel, vacillant légèrement sous la fatigue que lui occasionnait la mise en oeuvre de cette capacité. Le regard maintenant saphir croisa celui de Faendyr et un faible sourire étira ses lèvres. Le regard outré d'Aisleen la figea sur place. "Après toi, l'élonienne" grommela t-elle. "Je préfère voir ton dos plutôt que de te présenter le mien. Je ferme la marche."

Epuisée, Amarane ne trouva la force que d'hocher doucement de la tête, se mettant dans le sillage de Rowen.

Un bref instant, le regard de la rousse erra sur les ruines en bas. Ruines où se trouvait sans doute son enfant. Quel jeu avait décidé de jouer Andrea? La Comtesse avait-elle réussi son oeuvre de corruption? La chair de sa chair était-elle devenue désormais leur ennemi? Quelle issue aurait la confrontation familiale? Si elle pouvait, elle donnerait tout pour...

"TOUT?" susurra une voix monstrueuse au fond de sa tête.

Les lèvres d'Aisleen se serrèrent. "Je donnerai tout."

Dans les tréfonds de son esprit, la Bête ronronna. "Alors cède."

Les yeux émeraude se fermèrent. "Je suis la Lumière dans les Ténèbres. Je vais te détruire."

Un rire dément se fit entendre. "Je dévorerai ton enfant toute entière et je prendrai mon temps, Sceau. Le fruit de ta chair deviendra ma chair... Ce qui doit être sera..."

Une larme dévala sur la peau d'albâtre. Combien de temps tiendrait-elle encore? L'élémentaliste regarda les silhouettes d'Amarane et de Rowen s'éloigner. Entendaient-elle elles aussi l'entité nommée la Bête? Ou étaient-elle suffisamment fortes pour la tenir à distance? Ou...

Une vague de paranoïa la saisit en même temps qu'une crise de panique. Tout autour d'elle la neige fondit tandis que son aura se mettait à flamber. La respiration de la mage ralentit puisant dans les techniques d'Armin pour bloquer la crise qui pointait.

Combien de temps tiendrait-elle encore?

Alors que Rowen quittait notre poste d'observation vers notre camps arrière,Ysline ne sentait pas ma main sur son épaule ni même ma présence à ses cotés. Son regard était perdu vers les ruines, un instant il se troubla d'une teinte de regret et de farouche résolution. Je ne savais que trop quel devait être le fil de ses pensées... La Bête... Andrea... La Comtesse... Ce triste trio qui à divers degrés avait saccagé nos vies, les balayant comme des fétus de paille afin de servir leurs intérêts.
J’ôtais brusquement ma main ,retenant difficilement un grognement de douleur quand brusquement la température du corps de ma femme s'éleva brusquement ,vaporisant la neige autour d'elle. Peur? Colère? Prémices d'une attaque? Dans tous les cas cette manifestation n'augurait rien de bon! Mais pour qui?

"Solas mo aman?" (Lumière de mon âme?)

Je me portais à ses cotés, couvrant son flanc comme si souvent au front, scrutant la pénombre à la recherche d'un hypothétique danger sans vouloir admettre qu'il pourrait venir de l'intérieur. Autant je ne pensais pas que la Bête puisse reprendre le pas sur Ysline et Amarane, autant il serait simple de jouer sur les doutes et les inimitiés si nombreuses au sein de notre alliance impie,la faisant voler en éclat. Du moins c'est ainsi que j'agirais à leur place...Et c’était ainsi que je comptais agir contre eux. Après tout qui ferait entièrement confiance à ma fille? Surement pas un nécromancien aussi ancien et puissant que la Bête.

"Mo Chroi? Ysline?..."

Devais je deviner dans le tressautement de ses épaules une rage difficilement contenue ou alors un sanglot à grand peine maîtrisé? Grimaçant par anticipation d'une probable douleur, j’entremêlais nos doigts et cela pour la première fois depuis ces derniers mois, riant intérieurement. Si les 6 n'aimaient pas cela, qu'ils aillent se faire pendre, après tout n’était ce pas pour eux que nous œuvrions en ce moment? A cause d'eux que ces trois femmes avaient vu leurs vies ravagées?

Il valait que la déesse aveugle ferme les yeux sur ce que mon épouse considérerait probablement comme une entorse à son vœux. Nous n’étions pas sûrs de voir les prochaines aubes se lever... La moindre des choses était de témoigner mon soutient inconditionnel à mon épouse, mon amante, la lumière de mon âme. Les héritières survivantes des trois lignées allaient enfin venir au combat contre... Je m'immobilisais, comme foudroyé. Se pourrait il que ?.. Cette idée était folle... Mais était- elle réalisable? Si oui, étais-je prêt à en payer le prix?


Un moment plus tard, ils se retrouvaient tous autour du feu, bien abrités du vent et des regards par un amas rocheux. La silhouette des arbres dans l'obscurité se balançait doucement. L'ambiance était plutôt morne, chacun mâchonnant sa ration de voyage sans grande conviction. A la fin du repas, Rowen bourra sa pipe de son habituel tabac odorant, Amarane allumant un de ces cigarillos qui ne la quittait jamais. La rôdeuse regarda la troupe, recrachant pensivement sa fumée.

"Nous voici au pied du mur. L'ennemi n'est pas loin et il nous attend sûrement en nombre. La Comtesse ne nous fera pas de cadeaux et certainement pas atteindre l'objectif que nous nous sommes fixés. Je pense qu'il est grand temps d'élaborer un plan, une stratégie."

Mon regard quitta les mèches rousses auxquelles le feu de camps donnait des couleurs de métal en fusion pour se fixer pensivement sur notre guide.

"L'objectif que nous nous sommes fixé? Sommes-nous déjà sur d'avoir le même objectif? Le même degré d'engagement pour y parvenir? Ne devrions nous pas commencer par ce point? Et ce qui en découle... Quelles sont nos limites communes? Ensuite je pense nous pourrons envisager sereinement les diverses options qui s'offrent à nous ,même si je ne vous ferai pas l'affront de vous dire que nous sommes pas dans la plus position la plus favorable."

Je tisonnais un instant le feu plus par habitude que par réelle nécessité, laissant mes mots faire leur chemin. Je savais que pour tous ici j'avais énoncé une évidence, mais nous n'avions jamais débattu de ce point crucial ensemble.


Amarane eut un petit rire froid. "Allons, nous sommes tous d'accord ici pour dire que nous voulons abattre la Bête. Cette menace ne doit pas parvenir à s'incarner dans notre monde qui a bien assez de problèmes déjà. Reste deux options. La Comtesse et Andrea dont nous ne savons toujours pas vers qui se porte l'allégeance."

Aisleen serra les poings, l'air mauvais. Son regard étincelait d'une fureur mal contenue. "Tout comme toi, l'élonienne! Nous ne sommes même pas sûrs de nourrir un serpent en notre sein. Andrea est ma fille et il faudra me passer sur le corps avant de...Avant de..." Les mots ne parvenaient pas à franchir sa bouche. Envisager la mort d'Andrea lui était insupportable.

Rowen secoua la tête. "Dame Aisleen, personne ici n'est à l'abri de l'influence de la Bête. Ni vous, ni Asra, ni moi. Seul peut-être monsieur votre époux est loin de son influence. Et encore... Avons-nous négligé un fait qui avantagerait la Bête? Plutôt que des querelles stériles, je vous demande de réfléchir, de confronter ce que nous savons. Il doit bien y avoir quelque chose qui nous donnerait un quelconque avantage..."

Aisleen grogna. "Les discours insipides du Prieuré ne manquent pas de refaire surface! Et si à un moment, on arrêtait de réfléchir et qu'on passe à l'action? On en sait suffisamment pour l'abattre!"


Je regardais tour à tour les femmes autour du feu.

"Oui, abattre la Bête certes mais qu'en est il pour la Comtesse... Ta mère,Rowen? Ton fils,Amarane? Notre fille, Ysline? Ou ce petit-fils que porte Andrea? Ce n'est plus simplement une lutte contre un nécromancien devenu liche dont nous connaissons le nom, l'histoire et possédons l’étrange phylactère... C'est presque une histoire de famille... Nous misons beaucoup sur le Djinn et son desir de vengeance mais pour cela il faut reussir à le transférer dans le vaisseau idéal et encore au bon moment. Mais avons nous la moindre certitude qu'il n'est pas corrompu?"

Je laissais mon regard glisser sur ces femmes leur laissant le loisir de répondre.


Un long silence gêné s'abattit. Faendyr venait de mettre le doigt sur le fonds du problème. Ce fut Rowen qui rompit la première le mutisme. "Vous savez Arawn, le monstre qu'est la Comtesse n'a jamais été pour moi une mère, même de loin. Cet être m'a pris tous les gens que j'ai aimé durant mon existence. Mon père, mes soeurs, mon époux, mon enfant. Ma main ne tremblera pas si j'ai l'opportunité de la tenir au bout de mon arc ou de ma lame."

L'air impassible, Amarane hocha doucement la tête. "Nous sommes d'accord là dessus, Filles aux Loups. Quant à mon fils... Il le fut sans doute lorsqu'il était dans mes entrailles mais je suis persuadée que de cela, il ne reste plus rien. L'influence de la Comtesse et sa magie corruptrice ont dû oeuvrer pour en faire une abomination. Si la mère pourrait hésiter, l'inquisitrice, elle, ne faillira pas. Pour Sa plus Grande Gloire."

Seule Aisleen restait silencieuse, se mordant nerveusement la lèvre, allant de Rowen à l'élonienne. ]i]"Comment pouvez-vous être capable d'autant de détachement, de froideur?"[/i] cracha t-elle, accusatrice. "N'avez-vous aucune forme de respect pour la vie? Vous n'êtes que des monstres sans coeur!"


Je me tournais vers mon épouse, n'osant la prendre dans mes bras réfléchissant vainement à la meilleure approche possible avant de me lancer.

"Mo Chroi,tu as connu beaucoup de conflits,de combats jusqu'à la dernière bataille lors du front Mordrem. Nous avons survécu car nous considérions nos ennemis comme des monstres,cette fois ci nos ennemis auront visage humain ,les combattre sera d'autant plus dur..surtout ceux qui auront visage ami ou plus proche encore. Je n'ai aucun respect envers ceux qui corrompent la vie au point de manipuler une vie dans les entrailles de sa mère,je n'ai aucun respect envers ceux qui choisissent de trahir sciemment leur sang. Ce combat est devenu mien à partir du moment où il t'a affecté...A affecté notre famille... Alors oui je compte bien rendre au centuple la monnaie de sa pièce à la comtesse,à ses sbires,à la Bête... Sans faiblesse ,ni pitié. Quant à notre fille....."

Je soupirai.

"J’espère encore la sauver... Même si je le crains elle ne soit au delà de toute rédemption et par ses propres choix, elle n'agit que dans son seul intérêt... J'ai un temps cru que... Enfin..."

Je me raclais la gorge coulant un regard vers cette femme, ma femme que je n'osais pas réconforter alors que ce besoin, ce désir me vrillait les entrailles.

"Alors non je suis plus le monstre de froideur et de logique que j'ai pu être dans le passé, oui je sais que certains des choix qui devront être fait dans les heures à venir nous laisseront un goût amer dans la bouche et de longues nuits sans sommeil... Mais il faut faire ces choix ou alors reconnaître par avance notre défaite. Sommes nous d'accord?"


Rowen et Amarane acquiescèrent rapidement au travers de la fumée qu'elles exhalaient. Aisleen restait figée, serrant et desserrant les poings nerveusement. On la sentait prise entre son devoir et sa sensibilité. "S'il reste une chance pour Andrea, même infime, je la saisirai tu entends? Elle reste mon enfant même si ton élonienne en a fait un monstre." Le regard émeraude s'alluma d'une haine et d'une rage mal contenues. Le regard saphir d'Amarane le soutint tranquillement. La prêtresse de Grenth prit la parole:

"De nous tous, c'est moi qui connaît mieux le Djinn. Le pacte qui le lit l'oblige à aller sur le premier né de chaque lignée. Ainsi, à partir du moment où mon fils exhalera son dernier souffle s'incarnera t-il dans l'enfant que porte Andrea. Ce même ventre dans lequel la Bête a décidé de s'incarner." Un sourire mauvais étira les lèvres pulpeuses. "Dans un cas comme dans l'autre, Andrea ne survivra pas à un tel déchaînement spirituel aussi puissante qu'elle prétende être. Quant à l'enfant... Dans un cas comme dans l'autre, il ne doit pas survivre."

Le visage de Rowen se ferma. "Tu souhaites donc tout détruire, Asra, c'est cela? Notre combat est à ce prix?
- Un bon ennemi est un ennemi détruit, Fille aux Loups. Nous ne devons rien négliger..."

Un juron ascalonien franchit les lèvres de la rôdeuse qui se tourna vers Faendyr. "Il n'y a donc aucun espoir de sauver Andrea et son enfant, Arawn?"


"Ce n'est pas pas mon élonienne Mo Chroi..." lâchais- je d'un ton las alors que je tendais mes mains vers le feu réfléchissant à mi voix.

"Nous aurons de nombreux ennemis... Ton fils Amarane, la Comtesse, leurs séides dont un envoûteur puissant... Notre fille... Nous savons que l'enfant que porte Andrea est le vaisseau parfait pour lui,mais il connait le risque que représente le Djinn... Il faut je pense jouer sur cela... Le forcer à se précipiter sur ce vaisseau avant que le Djinn n'en prenne possession... Qu'il perçoive ce risque..."

Je levais la main afin de demander à ma volcanique Ysline de refréner la bordée d'injures et d'invectives que je voyais naître dans son regard.

"Si nous voulons battre la Bête et sauver notre fille il faut accepter un gambit des plus audacieux... Forcer la Bête à tenter de s'incarner et frapper à travers l'unique faiblesse que je lui connaisse mis à part le Djinn... Le Rubis de Sang. Il faudra le combattre ici même par le fer et le feu, en affaiblissant son essence vitale à travers le joyau par le puissance de son nom, directement au sein des Brumes. Le forcer à agir diminué... Tout cela pour laisser au Djinn l'occasion de sa vengeance. Une autre solution serait de tricher en quelques sorte. Au moment où la Bête se rue sur le vaisseau, le tuer de sorte que le Djinn s'incarne en Andrea et que la Bête ne se retrouve pas face à un esprit vide mais à celui d'une femme qui, bien que très déraisonnable, est puissant ,rompu à la domination mentale, douée d'une volonté féroce ... Une puissance qui serait secondé par la haine du Djinn..."

Je marquais un instant de silence, n'osant regarder mon épouse... Voyait-elle dans l'esprit capable de concevoir ces plans un monstre? S’arrêterait- elle à la froideur du ton?

"La première chose à faire est de ne pas aller sur leur terrain mais les forcer à se battre où nous l'aurons choisi... Ils s'attendent à un assaut à dominante magique... Enfumons les comme des renards dans leur tanière!..."

Aisleen regardait Faendyr en clignant des yeux. Bien que rompue à la théorie magique de par sa formation à l'Académie royale, elle ne saisissait pas vraiment la partie du plan devant se dérouler dans les Brumes. Voir Amarane acquiescer aux dires de son époux l'irritait encore plus. D'une voix blanche, elle finit par lancer: "Tu veux donc te servir de notre unique enfant comme un... Vulgaire focus de puissance magique que tu utiliserai ensuite comme une sorte de contre-sort et bien sûr comme vaisseau pour un esprit élémentaire surpuissant?" Le ton monta, tandis que le regard s'enflammait de nouveau. "Et l'espèce de gourde élonienne est d'accord?! Mais vous vous prenez pour qui?"

Amarane leva la main en un geste dérisoire d'apaisement. "Dame...Andrea est consciente qu'elle pourrait un jour être amenée à jouer ce rôle. Je l'y ai même préparée, lui transmettant ces techniques que vous a appris Armin... Elle peut y parvenir..."

C'en était trop. La colère aveuglait trop l'élémentaliste et tandis que la température montait de façon brutale tout autour d'elle, elle se jeta sur Amarane.


Par le sombre Seigneur,fallait il que cette femme que j'aimais tant ne perçoive mes mots qu'avec son cœur? J'avais sous estimé la rancune qu'elle vouait à Amarane ,elle formait un filtre déformant les mots, les intentions... Alors trêve de parole avant que le sang ne coule dans nos rangs! J'appelais à moi le pouvoir des esprits que je percevais aux alentours, les liants en un mur spectral qui se dressa brusquement entre les deux furies.

"Voulez vous faire le jeu de notre ennemie? Après les prix payés...Rendre les armes sans même combattre? Sans même essayer de rendre un seul coup? Sans espoir de vaincre? Alors faites... Écharpez vous comme deux harpies..."

D'un geste je faisais disparaître le mur,ne laissant entre ces deux femmes qu'une légère gelée sur l'herbe. "Mais ne comptez pas sur moi. Je suis venu ici pour vaincre la Bête et sauver notre fille, Mo Chroi, ma fille... Tous ensemble, unis, nous avons une petite chance de réussir ces deux objectifs... Sans vous... Je devrai faire un faire un choix. Par les Brumes, nous sommes face à un ennemi plus puissant que nous, plus nombreux que nous alors maintenant...Toutes les deux,cessez."

Je regardai tour à tour les deux femmes, guettant le mouvement des dagues chez l'une et le trait chargé de poison que je présentai poindre sur les lèvres de l'autre... Me préparant à jeter à l'une ou l'autre le regard que me réservait Svenson quand il voulait me faire comprendre que j'avais dépassé les limites ,que je me comportais tel un gamin effronté et non le jeune seigneur que j’étais sensé être.


Aisleen hésita. Cela suffit à Rowen pour s'interposer entre les deux femmes, l'air grave. Un sourd grondement de bête se fit alors entendre quelque part sur les côtés. La rôdeuse regarda tour à tour ses comparses, l'une les traits déformés par une fureur indicible, l'autre n'ayant pas esquissé le moindre geste de défense, l'air impénétrable, calme bien trop calme pour ne pas vouloir être dangereuse... "Dame Arawn, rangez vos dagues où je vous promets qu'Ivorine ne vous laissera pas l'ombre d'une chance de vous en servir. Et ma louve est bien moins sympathique que moi. Quant à toi Asra, bouge un cil et Ylfingr te mordra si durement le fondement que tu ne t'assoierras pas de quelques jours..." La sorcière du sang protestait déjà mais le regard sévère de Rowen la fit se taire immédiatement.

"Je vais être beaucoup plus directe qu'Arawn. Vous avez épuisé mon capital patience. Ceci était votre dernière dispute. Dame Aisleen ou vous apprenez à vous tempérer ou vous n'aurez plus votre place dans cette troupe. Que votre époux soit d'accord ou pas. Sans moi, vous n'irez nulle part, alors autant me ménager. Asra tu cesses immédiatement toute provocation et tu te conduis comme la précieuse alliée que tu peux être quand tu veux bien te donner la peine."

Aisleen, encore énervée mais ayant rangé ses dagues allait protester mais de nouveau, Rowen la fit taire d'un geste. La détermination et le sérieux de cette petite femme était impressionnant en cet instant même. Il rayonnait tout autour d'elle une aura d'autorité incontestable et surtout largement assumée. "Maintenant je veux que vos jolies têtes esquissent un oui et rien d'autre."

La tignasse bleue puis la rousse firent "oui" de mauvaise grâce. Rowen reprit, toujours aussi calme. "A partir de ce moment, nous décidons d'arrêter les attaques gratuites, mesquines et surtout de nous tromper d'ennemi. Si vous voulez passer vos nerfs, y'a la Bête, la Comtesse et ses sbires. Si nous sommes toujours en vie après, vous pourrez vous crêper le chignon tant que vous voudrez. "

Le regard azur se tourna vers Faendyr, glacé. "Quant à vous, vous allez cesser de peiner inutilement votre épouse en vous montrant trop direct. Mettez de l'eau dans votre vin bon dieux, Arawn! Et un peu d'empathie ne vous écorchera pas la langue!"

Rowen retourna s'assoir, tandis que les grondements dans la nuit baissaient en intensité pour tout à fait s'éteindre lorsque la fragile silhouette se détendit, tirant une énième bouffée sur sa pipe, retournant à la contemplation du feu.

Intérieurement je me moquais de moi, ce petit bout de femme plairait sans le moindre doute à Svenson! Depuis combien d'années n'avais- je pas été remis à ma place ainsi? D'une certaine manière,j'en avais besoin, surtout maintenant, j'avais besoin de clarté d'esprit et non pas de rester englué dans mes craintes. Je ne doutais pas que ma froideur soit une forme de recul, une protection face à la situation. Ysline, étant soldat pouvait le comprendre ,mais elle était aussi et surtout mère. Elle pleurait son enfant arrachée et refuserait d'entendre ce point de vue. J'avais fait face à l' élémentaliste,à la soldat,à l’enquêtrice ,à mon épouse... Il était plus que temps de faire face à la mère.

Je me dirigeais vers elle qui installait son coin avec la rigueur toute militaire inculquée par Lin, à l’opposé d'Amarane, qui contemplait fixement le feu. Sans un mot, je lui prenais la main et l’entraînait à l’écart afin d'avoir avec elle une discussion trop longtemps éludée.

[...]


Dans le calme de la nuit, la sensation claqua dans son esprit comme un coup de tonnerre.

"Danger."

Les yeux immédiatement ouverts, Rowen vit Ivorine, ramassée et l'échine hérissée qui fixait les ténèbres. Le feu mourant éclairait le visage de ses compagnons endormis. Afin de laisser un peu de repos à tous, elle avait confié la garde du campement à la meute d'Hurlemort.

"Ca approche. Là."

Déjà Ylfingr, accompagné d'un autre loup, partait en silence effectuer une large manoeuvre de contournement pour empêcher toute retraite à la menace.

Ivorine comme à son habitude restait dans un cercle très rapprochée pour veiller sur sa compagne humaine. Rompue à ce genre d'exercice, la meute s'ébrouait, chaque animal prenant la position qui lui était dévolue.

La main de Rowen se saisit de son arc qui ne la quittait jamais et elle s'accroupit aux aguets, faisant une totale confiance en l'instinct et l'expérience de ses compagnons, cherchant à ne pas se faire surprendre.


Pour la première fois depuis bien longtemps je dormais. Non pas la vaine perte de temps pendant laquelle je me force à rester allongé et immobile, mais ce soir avec sa chaleur blottie contre moi, je dormais... Je devais avouer savourer le silence de la nuit, la tranquillité de cette combe perdue non loin de...

Brusquement quelque chose s'éveilla en moi, un malaise que mon bonheur retrouvé avait tu bien trop longtemps... Depuis quand des esprits tourmentés étaient-ils aussi étrangement calmes en pleine nuit? Je tendais mes sens,déployant ma perception du monde des âmes,tout en secouant doucement mon aimée. Je les trouvais enfin non pas errant selon leurs habitudes mais immobiles et attentifs au silence. Étaient ils à l’écoute d'une invocation? La Comtesse ou l'un de ses sbires tentaient ils de les contraindre? Ou tout simplement quelque chose avait il éveillé leur intérêt?

Je me glissais hors de mon sac de couchage, avant de passer la tête en dehors de la tente, juste à temps pour voir Rowen disparaître dans les bois talonnée par sa meute.