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Amarane Ytagre: Passages d'une destinée

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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:02



Le secret

Assise sur le rebord du lit, Amarane contemplait le cadavre dans le lit, la tête un peu penchée, plus intriguée qu’autre chose. Depuis son premier meurtre, elle avait toujours éprouvé une étrange fascination à voir l’étincelle de vie les quitter, comme une chose curieuse et un peu pathétique. Les yeux agrandis par la terreur, l’homme gisait figé dans un rictus de souffrance, un trou béant dans la poitrine et la peau noircie par le givre. Comme d’habitude, il n’y avait trace de sang nulle part. Prudente, elle avait veillé à se servir sur un péquenot moyen qui n’attirerait pas l’attention. Jusque- là, elle avait de la chance. Et jusque- là, elle avait réussi à brouiller suffisamment les pistes pour que les autorités ne s’intéressent pas à ceci.

La sorcière du sang sévissait dans les bas quartiers, se faisant passer pour une noble en mal de sensations afin d’attirer petites frappes, mauvais garçons et mendiants dans ses filets : son corps exhibé appâtait, la pièce d’or au creux de sa main finissait de les convaincre. Plus ils étaient vils et plus ils étaient susceptibles de l’intéresser. C’était la corruption dans leur cœur qui était la condition, le reste, le reste n’était qu’un moyen. Chaque jour supplémentaire passé sur cette terre réclamait son lot de sang. C’était sa malédiction, le prix à payer. Elle s’en acquittait consciencieusement toutes les trois nuits, laissant derrière elle une nouvelle victime. Aucun remords, aucun regret ne venaient la tarauder. Elle vivait, ces gens mouraient, telle était la loi de Grenth, l’équilibre était respecté. Elle posa une pièce sur chacun des yeux du mort. Cela paierait ses funérailles, à défaut d’autre chose.

La jeune femme glissa la dague dans le fourreau de cuir accroché à sa cuisse. Ses yeux saphir étincelaient à la lueur tremblotante de la bougie, plein de vie, plein de chaleur. Et c’est exactement ce qu’elle ressentait à ce moment précis. La vie, la chaleur, l’ivresse. Elle remit son masque pour dissimuler ses traits et s’enroula de nouveau dans sa cape sombre.

Cette nuit- là était magnifique, l’air doux et la lune brillante. Elle aimait marcher dans la nuit, lorsque la ville s’endort, cela lui procurait une sensation de réconfort, comme un cocon de tranquillité qui lui permettait de réfléchir en paix. Ses sens étaient décuplés et elle s’émerveillait de la beauté de ces choses simples que la plupart des gens ne voyaient pas, ne voyaient plus. Amarane rêvait de désert, de dunes et de vieilles pierres cernant une oasis mais le bruit de ses talons claquant sur le pavé la ramena à la réalité.

La jeune femme poussa doucement la porte de sa maison. A l’intérieur, tout était silencieux. Une odeur d’encens et de thé au jasmin flottaient encore dans l’air. Demain, elle achèterait au marché un énorme bouquet de fleurs odorant. Elle monta et se déshabilla rapidement, se glissant dans le lit. Les bras de l’homme se refermèrent autour d’elle, réchauffant sa peau noire glacée. Le temps se suspendit au contact de ces mains et de ces lèvres sur son corps, faisant remonter en elle une myriade d’émotions et de sensations qu’elle avait cru avoir oubliées. Tel un ressac rugissant, son humanité se saisit d’elle et l’entraîna au large, loin, très loin de la gangue de néant dont elle était prisonnière.

Tandis que les premières lueurs de l’aube éclairaient le Promontoire, une amante renaissait, une femme se métamorphosait, un monstre devenait merveille. Au contact de ce corps, Amarane se sentait belle, invincible et en vie. Tandis que son amant s’endormait, elle l’effleurait encore de ses mains, suivant les muscles, dessinant les courbes masculines, allant à la rencontre de cet autre. Pendant de longues heures, elle resta ainsi,recevant, donnant, savourant.

Dans quelques heures, la réalité, implacable s’abattrait de nouveau sur elle. Dans quelques heures, elle remettrait son masque et figerait ce sourire poli sur son visage, surveillant ses postures et ses gestes. Mais l’instant présent, elle le vivait pleinement.

Les paroles de Talnir lui revinrent en mémoire. En fin de compte, son ami avait raison. Elle n’était pas seule.

Elle n’était plus seule. Amarane ignorait par contre si ce constat l’effrayait ou la ravissait. Le temps lui révèlerait sans doute ce secret.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:03



Amarane est sur son balcon, enroulée seulement dans un drap. L'air pensif, elle fixe la place déserte en contrebas, tirant sur son cigare. C'est encore une belle nuit, une nuit pleine de promesses et de secrets. Une nuit comme elle les aime. A quelques pas, Draseth dort dans le lit transformé en véritable champs de bataille. Il gardera sans doute durant quelques jours les nombreuses marques qui parsèment son corps. L'amour sait parfois se faire violence, et ce soir, il a fallu à Draseth tenter étouffer l'indifférence et l'inhumanité dans lesquelles elle se réfugie parfois. Bonne joueuse, la jeune femme s'est inclinée.

Elle se dirige vers la table de travail et ouvre le lourd livre à la couverture rouge sang ornée de dorures qui y est posé dessus. Prenant la plume, elle commence à écrire...

Je ne suis qu’un minuscule rouage dans un gigantesque engrenage. En prendre conscience m’a permis sans doute de mieux appréhender la tâche, la destinée que je dois accomplir. Non, nous n’avons pas toujours le choix, c’est une illusion que de le croire. Certains sont les instruments d’une volonté supérieure. Et bien que les dieux se soient tus, la mienne est celle que Grenth -béni soit Son Nom- a bien voulu me choisir.

Présomptueuse ? Sans doute, je ne suis pas connue pour ma modestie. Certains ricanent sans doute à l’idée que je crois être bénie par un dieu. Qu'ils rient donc. J’ai entendu dans leurs bouches maintes insultes, maintes marques de mépris, maintes façons de m’atteindre et dans ma chair et dans mon âme. J’ai tout reçu, tout pris. Car un jour ils goûteront à leur tour à Sa Juste Rétribution. L’avantage de servir le Dieu de la Mort, vois-tu, c’est qu'ils le veuillent ou non, ils seront jugés par Lui, je n’ai donc pas à les convaincre de la justesse de leurs actions.

Je suis née dans les sables du désert de Vabbi dans la Cité aux Mille Piliers. Il me plaît de le croire en tout cas, moi qui ne sait pas qui est ma mère et qui a tout oublié de son père. Si je n’y suis pas née c’est tout comme, le sang des nombreuses générations de ma famille a inondé le sable et je ne sais quoi encore qui recouvre maintenant cette merveille.

Je viens d’un lieu oublié, abandonné dont je reste peut-être la seule dépositaire avec sans doute quelques contes et chants de ma patrie. Ubar est son nom en élonien, on la surnommait autrefois « le Paradis du Désert».

Je suis Asra bint Dama al Vabbi al Ubari. Par là même, barbares, je vous dis qui est mon père, quelle est ma terre d’origine et la région d’où je viens. Si ma famille m’avait connu, elle m’aurait donné un titre, celui que je me suis choisi est « la Voyageuse du crépuscule ». Car me voici depuis vingt -six longues années loin de ma terre. Le crépuscule est là où je me situe, tantôt dans la nuit, tantôt dans la lumière, je ne suis ni l’un, ni l’autre, y naviguant au gré de mes envies, de mes besoins.

Il n'y a ni bien, ni mal . Et ceux qui te prétendront le contraire ne sont pas des sages. Il n'y a que l'équilibre en tout. L'équilibre entre cette vie et cette mort, l'équilibre entre prendre et donner.

Certains diront de moi que j'ai été une mauvaise femme et ils auront raison: j'ai fait des choses effroyables dans ma vie. Certains te diront que j'ai été une femme sensible et généreuse, dont la maison et la main étaient toujours ouvertes pour ceux qui en avaient le besoin. J'ai dispensé l'horreur, la douleur et la mort mais aussi l'art, la beauté et mes sourires. J'ai haï, j'ai maudit, j'ai détruit mais j'ai aussi aimé, protégé, créé.

Il n'y a pas de Bien ou de Mal, Walad. Il y a juste des contraires qui s'opposent, se mélangent, s'emmêlent, s'affrontent comme des amants terribles. Ne cherche jamais à te situer par rapport à ces notions, elles ne te parleraient pas, elles t'induiraient en erreur, elles feraient de toi un voyageur égaré. N'écoute jamais ton coeur, certains te murmureront cela, ils te chuchoteront des choses fausses encore. Suis seulement ton instinct, Walad, c'est ton meilleur ami et allié en ce monde.

L'instinct est la croisée des chemins entre l'esprit et le coeur. L'instinct, c'est l'équlibre de notre être. En suivant ton instinct, tu resteras toujours humble. Le coeur mène aux passions, les passions mènent les esprits faibles aux vices. L'humilité mène au détachement et le détachement à l'élévation. Je veux que tu élèves ton esprit et ton âme, walad. Si je ne suis plus là pour te montrer, tu devras faire ce chemin seul, comme moi je l'ai fait autrefois.

Car mon père est mort alors que je n'était qu'un nouveau né. Il se nommait Dama al Arfi al Vabbi al Ubari. C'était un grand homme et un fier guerrier de Grenth. Tu en aurai certainement eu peur. C'était un élonien rude au visage scarifié et tanné par le vent du désert. Sa peau était noire comme l'ébène et son regard sombre et impitoyable. Mais c'était aussi un sage, quelqu'un qui était guidé par le kundalini. Il n'était pas favorisé ou privilégié, il était seulement un homme qui avait su entendre et écouter cette force dormante que nous possédons tous en nous. Des trésors sont à portée de nos mains, il suffit juste de se servir de ses sens.

Il est mort en combattant. C'est ainsi que nous mourrons tous tu sais Walad. Jusqu'à la fin, nous luttons pour quelque chose, quelqu'un. C'est ce qu'il a fait, walad, ainsi que le font tous les Hommes.


Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:03




Dévidant le fil de son destin, il a affronté, vaincu puis s'est retrouvé défait par les agents de la Bête. C'est ainsi que nous la nommons mais je sais qu'elle a un autre nom que je ne parviens pas à connaître. Chaque premier né de notre lignée a ce destin particulier: celui d'affronter ou de périr face à la Bête. Je vois déjà un "pourquoi?" se former sur tes lèvres, c'est une longue histoire qui remonte à bien longtemps mais qu'il me faut te raconter si tu souhaites comprendre.

Il nous faut revenir en arrière dans le désert de Vabbi sit tu veux bien Walad. Au coeur de ce désert, il y a une immense oasis elle-même ceinturée par une cité aux murs couleurs de sable. On l'appelle Ubar, la Ville aux Mille Piliers car ceux qui l'ont construite l'ont imaginée comme un immense palais ouvert aux vents, comme un espace gigantesque dans lequel poètes, danseurs et conteurs évoluent librement, maîtres de leurs arts respectifs. Ne croient pas qu'il n'y ait pas quelques secrets assassins dissimulés dans les ombres, guettant leurs proies. Les Eloniens sont connus pour carresser de leur langue fleurie pour mieux endormir ta méfiance. Nous sommes tels des roses: boutons puis fleur noble et magnifique qui font oublier un instant qu'elle porte de terribles épines.

Je m'égare sans doute, Walad mais tu comprendras combien j'aime ce peuple et cette terre que pourtant je ne connais pas vraiment. C'est ainsi, je porte en moi la mémoire de mes ancêtres, je suis la dépositaire de notre histoire.

Nous voici donc à Ubar et dans ce joyau, nous sommes princes-marchands ou mendiants en guenilles. Cela n'a aucune importance tu sais, car celui qui fut prince peut devenir mendiant, mais le miséreux peut s'élever pour devenir roi. J'ai beaucoup de mépris pour la noblesse du Promontoire. On ne naît pas privilégié, on gagne par sa volonté et sa détermination notre place en ce monde. C'est ainsi que l'on devient quelqu'un Walad, pas en se donnant des titres et en s'octroyant un pouvoir qu'on ne mérite pas bien souvent.
On dit que notre lignée est bénie par Grenth. C'est un fait. Il y a toujours de jolis contes pour illustrer les choses chez nous. Certains murmurent que un de nos ancêtres auraient marché à ses côtés, vivant sans doute une expérience fantastique. Tu sauras bien sûr faire la part des choses. L'esprit rêveur a ses limites n'est ce pas?  Peu importe, nous le sommes et quand on a la foi, les explications sont bien souvent inutiles.

Peut-être avons nous prospérés tout d'abord comme simples gardiens de chèvres. Les origines de notre famille remontent à la nuit des temps et comme notre cité ont sombré dans les sables de l'oubli.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:04




Amarane écrasa son cigarillo et en alluma un autre aussitôt. La nuit l’enveloppait encore de son sombre manteau, l’air était chaud, promesse d’un bel été sans doute mais qui tardait à arriver. Ses yeux se fermèrent un instant, elle appela de toutes ses forces sa peine, sa douleur, son désespoir.

Elle ne trouva rien, que cette gangue glacée et indifférente qui lui servait de cœur. Qui aurait pu se douter que tous ses sourires, toute sa chaleur, toute sa générosité n’était que les éléments d’un jeu, un jeu terrible qu’elle menait depuis des mois.

Un jeu qu’elle avait perdu là bas ce soir- là dans ce pavillon glacé des Falaises de Hantedraguerre. Le soir où, trahie par la seule personne qu’elle avait jamais aimée, elle avait appelé à elle des forces qui l’avaient largement contrôlées et dépassées.

Ersande s’était elle-même immolée sur l’autel de la Folie. Une autre femme était née à l’aube. Non pas une femme, un monstre. Car la puissance a un prix, le sien fut celui de sa propre humanité. Un pacte terrible qui lui avait permis d’échapper à la corruption, qui avait fait sauter les digues de son esprit lui donnant accès aux connaissances de ses ancêtres mais qui l’avait privée de toute émotion, sentiment et passion. La jeune femme était devenue un rouage bien huilé, bien préparé à sa destinée. Celui d’abattre la Bête ou d’être détruite en essayant.

Draseth l’avait crucifiée, bafouée, lacérée. Elle se souvenait comme d’un vague écho de cette déferlante qui l’avait engloutie. L’élonienne serra de toutes ses forces la rembarde. La peine, la douleur, la terreur et puis la décision. Terrible, implacable, logique.

Se sacrifier pour survivre. Ne plus rien éprouver pour ne pas sombrer et continuer à marcher sur le fil de la destinée, pauvre marionnette agitée de fils… Elle avait juste décidé à un moment de pouvoir choisir le marionnetiste… Triste constat.

Amarane Ytagre n’existait pas. Elle n’avait jamais existé que dans le rêve qu’elle avait fait. Celui de ne pas devenir un monstre. Celui de rester proche de la beauté, de la chaleur des Hommes, de leurs passions et de leurs émotions pour ne pas oublier. Pour ne pas être juste cette coquille vide qu’elle ne supportait plus. Comment peut-on être écoeurée, comment peut-on se rebeller quand on ne ressent rien ?

Elle ne le pouvait pas alors elle se résignait. Amarane ne possédait pas la colère qui lui aurait permis de pouvoir dire non et de changer son destin. Elle n’avait que le pouvoir de réveiller ces pierres et de les faire chanter, les accordant aux personnes qu’elle croisait. On la saluait pour cela et chaque compliment lui donnait un espoir. La magie du sang a bien des secrets qu’il lui avait été donné d’entendre…

L’espoir fou de se sentir un instant terriblement humaine. Et puis la réalité froide et nue. Celle de ces cadavres qui s’amassaient tous les trois jours, figés dans la terreur glacé de leur poitrine béante. Il n’y avait rien d’humain dans tout cela.

Nuit après nuit, il n’y avait que dans les bras de Draseth qu’elle parvenait à trouver une échappatoire. Car ensemble, ils avaient su dépasser leur douloureux passé. « Tu m’as donné un cœur nouveau hobi », lui avait-il dit. Son amant entendait aujourd’hui faire de même pour elle.

Dans quel recoin des Brumes était parti ce cœur ? Le djinn l’avait- il dévoré comme il la poussait à dévorer ses semblables ces sombres nuits ? Draseth le lui ramènerait-il un jour ? La pierre rouge sombre battait elle à son cou, promesse à venir. Promesse de quoi ? Amarane ne savait même pas comment aborder cet artéfact et l’investir de sa puissance afin qu’il ait une chance de remplir son office.

La jeune femme avait désespérément besoin d’aide. Et la peur terrible de la demander. Car à l’instant où ils sauraient alors ils auraient la porte d’entrée pour l’abattre. Elle redoutait malgré tout de lire dans leurs yeux le dégoût, le mépris ou la haine.

« Seigneur aide moi… » Amarane tomba à genoux, paumes levées vers le ciel en une ultime supplique. « Mon dieu, je t’en prie, guide moi, indique moi le chemin à suivre, je suis perdue…Tellement perdue… Moi qui n’aspire qu’à te servir et faucher en Ton nom… Fauche moi si tel est ton désir, permets moi de mettre fin à ce simulacre de vie… Je ne peux plus…»


Amarane priait. Avec ferveur et dévotion comme elle le faisait toujours. Elle priait encore lorsque victorieux, le premier rayon de soleil chassa l’ombre bleuté de la nuit. Tout son être s’était figé et telle une statue d’ébène, la templière appelait de toutes ses forces les énergies mortifères.

Non pas pour ses ennemis, non.

Juste pour elle. Pour être abattue, enfin.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:05

Amarane crispa son poing sur la missive qu’on venait de lui remettre. Tout se mit à tourner autour d’elle, elle restait là, incapable de bouger, incapable de parler. Quelque chose aurait dû la submerger, de la peine, de la colère, du chagrin.

Elle n’avait qu’une impression de vide, un abîme glacé dans laquelle elle tombait, une chute sans fin, morne et indifférente. Son regard déchiffra une fois encore les mots.

Talnir était mort.

Il y avait ce discours qui aurait dû la rasséréner. Le Dieu l’avait rappelé auprès de lui et elle devait se soumettre à Sa Volonté en digne fille obéissante. Oui, elle aurait dû…

Mais sans doute pour la première fois de son existence, la templière ne parvenait pas à s’y résoudre. Elle voulait hurler, pleurer, juste avoir une réaction, pouvoir exprimer une émotion quelconque. Il n’y avait que le néant en guise de réponse…

La jeune femme venait de perdre la seule famille qu’elle ait jamais possédée, celle qu’elle s’était choisie, ou plutôt celle que le destinée avait bien voulu mettre sur sa route. Talnir était ce frère qu’elle n’avait jamais eu.

Elle se souvint de leur première rencontre là- bas dans les Contreforts du Voyageur. Ce soir- là, elle avait joué avec lui. Et puis il y avait eu ces longues nuits de discussion à Hoelbrack. Sa méfiance tout d’abord à l’égard de ce jeune homme trop curieux…Peu à peu, Talnir avait su briser sa carapace et lui faire conter son histoire.

Au cœur des ténèbres, il avait été sa lumière et son espoir. A aucun moment le maître ingénieur n’avait jamais flanché. « Nous te sauverons » lui avait-il dit, "tu n'es pas seule". Il l’avait toujours ramené vers le haut : fort de sa détermination, c’est lui qui l’avait soutenu quand elle tombait ; qui l’avait rassurée lorsqu’elle avait peur, qui l’avait réconforté quand elle croyait que tout était perdu.

Talnir ne l’avait jamais jugé, il était le seul avec Draseth à connaître sa véritable nature. Le seul sans doute en sachant cela qui ne s’était jamais détourné d’elle, ne l’avait jamais jugée ou repoussée. Bien au contraire, plus Amarane doutait, plus Talnir semblait assuré que tout changerait bientôt pour elle.

Elle serra son éventail contre elle. Désormais, c’est tout ce qui lui restait de lui. Son regard se durcit et elle se fit le serment que quel que soit l’adversaire qui avait eu raison de son ami, son sang imprègnerait bientôt cette arme qu’il lui avait confectionnée. Elle rédigerait une lettre à l’intention de Maelenar Vorengard dans la journée. Le sang appellerait le sang… Mais pour l’heure, elle avait une autre affaire à régler, provoquer un coup du destin pour une certaine personne.

« Draseth ! » appela la jeune femme.

La fine silhouette de l’homme s’encadra sans bruit. « Dame ? »

La jeune femme jeta un regard froid à l’élonien. « Prévenez le Revenant et ses chiens de guerre. Je vais avoir besoin de ses …Talents particuliers. »


Le guerrier haussa un sourcil. « Dame ? » finit-il par articuler un peu surpris.

« J’ai une mission à lui confier. Quelque chose dans ses cordes. Même si l’Ordre n’en retirera aucun bénéfice. Mais il me doit bien ça n’est-ce pas ? » Amarane eut un sourire en coin, un de ses sourires étranges qui mettait toujours son interlocuteur mal à l’aise.

Draseth hocha de la tête en silence et sortit.

La jeune femme baissa les yeux. « Tu n’aurai pas aimé ce que je suis en train de faire Talnir. Vraiment pas. Mais tu n’es plus là pour m’empêcher d’être un monstre désormais. Je guiderai ton esprit par- delà le Voile, cher frère. Tant que je serai là, il te sera épargné les ultimes souffrances des limbes… »


Elle redressa la tête, son visage était un masque impassible, ses yeux étincelaient d’une lueur froide et cruelle. Un sourire malsain étira ses lèvres. Il n’y avait plus rien de la femme souriante et avenante à ce moment précis, juste une prédatrice qui savourait la curée à venir…

Le sang appelle le sang.

Talnir était mort...

La mort appelle la mort. Tant qu’elle serait là, l’équilibre serait respecté.

***


Il est tard, c’est la nuit et à l’exception de quelques membres de son clergé, la chapelle est vide. Amarane a revêtu son armure, elle porte sa faux, attribut de sa fonction. Pas un mot n’a été échangé, elle ne souhaite pas parler, elle n’est déjà plus vraiment là. Le bandeau qui recouvre ses yeux l’épargne encore quelque peu.

L’énergie mortifère dégagée ici la prend à la gorge. Déjà, son ombre s’agite et se déforme. Il l’a sentie lui aussi et il s’éveille doucement.

Le cadavre allongé n’est désormais qu’une enveloppe vide dont elle ne doit pas se soucier. Hier ce corps vivait et vibrait. Cette nuit, le voilà en train de reposer, immobile et glacé, à jamais figé.

L’élonienne se laisse tomber à genoux lourdement, puis elle ôte son bandeau. Ses yeux sont entièrement blancs tandis qu’elle fixe un point loin par -delà la chapelle, par -delà le monde matériel , par -delà ce monde d’illusion qui ce soir lui pèse lourdement.

Elle écarte ses mains, baisse la tête. Elle prie. Toute sa concentration est mobilisée tandis qu’autour d’elle et du cadavre un cercle commence à se former.

« Protège -nous Dieu de la Glace et de la Mort. Protège ce cercle tandis que je guide vers toi l’âme de ce défunt . Puisse t-il trouver l’ultime repos dans ta froide étreinte, ô Dieu… »

Elle ne laissera personne d’autre accomplir cette action. Parce qu’il fut là de son vivant, elle sera là avec lui dans la mort. Un cycle fut entamé, un cycle fut achevé, le voici prêt à revenir dans la roue éternelle, celle qui n’a ni commencement, ni fin.

Cette épreuve est difficile. Amarane est épuisée, mobilisant le peu de forces qui lui restent. Tandis que les heures s’écoulent lentement, que les bougies se consument, elle poursuit sa tâche. Elle parvient au-delà de ses sens, elle transcende peu à peu sa propre enveloppe et s’élève. Pour son ami, son frère.

A l’aube, tout est accompli. Dans un bruissement, le corps d’Amarane cède, vidé de tout ce qui pourrait le soutenir encore. La petite silhouette sombre s’effondre au pied du cafalque. Mais ses traits bien qu’inconscients semblent sereins, paisibles.

A l’aube, un homme s’incline devant le cadavre une main sur le cœur et emporte dans ses bras la Voyageuse du Crépuscule.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:05

Dans la pièce attenante à son atelier, Amarane se tenait nue au centre d’un cercle d’ossements. Elle avait mis des mois pour constituer cette loge où elle pouvait exercer en toute quiétude sa sorcellerie du sang. Seuls les bijoux rituels ornaient sa peau d’ébène, des pots, bols et autres composants étaient posés autour d’elle, attendant qu’elle en fasse usage. Sur ces genoux reposait un lourd tambour au cadre de corde tressée et de plumes de corbeaux.

Mais plus singulièrement, au centre du cercle, deux pierres rouges irradiaient de leur douce et inquiétante lumière. A vrai dire, la jeune femme était ici pour elles, pour les « faire chanter » comme elle disait. Bien peu soupçonnait, elle le savait, d’où elle tirait le pouvoir qu’elle avait sur les pierres. Car Amarane n ‘avait jamais menti en prétendant révéler aux gens la véritable nature et bienfaits des joyaux qu’elle taillait et leur vendait. Les bienfaits, car il n’y avait rien de néfaste dans ces charmes de sang. En tout cas pas à ce jour, elle n’avait jamais ressenti ou éprouvé le besoin de vendre des pierres pouvant s’avérer nocives ou débilitantes, une telle idée même lui donnait l’impression qu’en agissant ainsi elle pervertirait son art et son don de création. De manière instinctive, elle savait accorder une personne avec une ou des pierres ayant développé une sorte d’empathie dont elle ne s’expliquait toujours pas encore aujourd’hui la provenance.

Elle porta à ses lèvres le contenu d’un bol. Le breuvage qu’il contenait était le mélange de plusieurs plantes, champignons hallucinogènes ainsi que d’une plante particulièrement rare ne poussant que dans les lieux imprégnés de l’essence de l’Outremonde. On la nommait « la liane des âmes » et celle-ci avait été ramassée dans le marais d’Anathema. Cette liane avait pour les initiés le pouvoir de faire voyager loin, très loin, au-delà des perceptions de l’espace et du temps. La prendre sans préparation présentait de gros risques et il n’était pas rare que quelques nobliaux en mal de sensation ne se retrouve réduit à quelque légume bavant après en avoir pris sans précaution.

Amarane porta la main à son ventre entouré d’une ceinture de cornaline, faisant confiance aux pierres orangées pour protéger la vie qu’elle portait. Elle avait elle-même enchanté le bijou, ayant choisi au préalable les pierres les plus pures qu’elle ait pu trouver.

Prenant sa dague, elle s’entailla profondément au niveau des poignets, fit couler le sang sur le cercle d’ossements puis traça au niveau du front, des yeux, du cœur et du ventre des runes nécromantiques qui véhiculeraient le flux d’énergie mystique.

L’élonienne ferma les yeux et reposa le bol tandis que les drogues couraient maintenant dans ses veines. Elle alluma les bâtonnets d’encens puis dirigea son regard saphir vers les deux bezoars, centre de son attention. Des pierres mythiques dont les puissantes propriétés mystiques et alchimiques n'étaient plus à faire. Elle passa la main sur la peau du tambour comme si elle caressait la peau d’un amant puis le frappa doucement, en rythme, se balançant légèrement, entamant un chant composé de syllabes rudes, à la tonalité sombre.

Les premiers effets du breuvage se manifestaient déjà et sa peau noire se couvrit d’une pellicule de sueur. Les pupilles s’agrandirent, se dilatèrent, le regard devint vitreux puis devint entièrement blanc, lui octroyant la vision par- delà la vision. Le cercle dégagea une légère fumée verdâtre, Amarane entamait son voyage.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:06


Le temps s'est arrêté, suspendu, figé dans cet écrin de ténèbres, refuge d'autrefois, mausolée d'aujourd'hui. Avec tendresse, elle effleura la peau du bodhran recouvert de poussière, en tirant un bourdonnement sourd. Le cercle était toujours là, intact, l'encens froid, le sang séché témoignaient de son échec, tristes rappels de son existence déchirée, meurtrie.

Amarane restait là, immobile, profitant de la quiétude de ce qui avait été autrefois les sous--sols de sa demeure. La cache secrète était ouverte: acculée dans sa folie, elle était néanmoins parvenue à livrer son précieux contenu à l'un des deux nécromanciens qui l'avaient sauvée. C'est grâce à leur acharnement - ou plutôt parce qu'elle avait su éveiller leur intérêt- qu'aujourd'hui elle pouvait se trouver là, indemne de tout contrôle, libre de toute entrave.

Le Jour du Jubilé de la Reine avait été pour beaucoup le symbole d'une terrible tragédie. Pour elle, pour Draseth et pour leur fils à naître, ce fut le début de leur lente destruction. Morceau après morceau, dans son esprit et dans sa chair, ses ennemis avaient méthodiquement tout placé sous leur contrôle. Force était de reconnaître à la Templière que le résultat était un magnifique ouvrage d'énergie magique. Un corps vidé de toute capacité de nommer, de penser par lui-même grâce à l'oeuvre d'une envouteuse qui avait conjugué ses forces avec une nécromancienne pour détourner la force de vie d'Amarane vers le Sceau.

Tout cela pour un stupide sceau, un stupide serment passé par des ancêtres que tout le monde avaient aujourd'hui oubliés. Un serment que même leurs descendants avait égaré dans les sables de l'oubli. Mais son ancien maître, la Comtesse d'Arganthe, n'avait pas oublié, elle. Des années à jouer au chat et à la souris, à tenter de trouver des alliés suffisamment puissants pour se dresser en travers de sa route, à s'armer d'indifférence et d'inhumanité pour ne pas être une proie trop facile. L'espace d'un instant, Amarane avait frôlé la joie d'exister, d'être et d'aimer. Frôlé seulement puisque sa destinée s'était brutalement rappelée à elle.

Et maintenant? Ce qui devait être avait été. Tout était consommé et un nouveau chapitre devait s'écrire. Le fait de se retrouver seule n'avait rien d'effrayant pour l'élonienne, c'est ainsi qu'elle s'était faite, de la rue au bordel, des alcôves des chateaux aux soieries du "Rêve d'Obsidienne". Et puis le Seul et Unique Vrai Dieu était à ses côtés, le Tout Puissant en qui elle n'avait jamais cessé d'accorder une loyauté et une ferveur sans faille. Elle avait récupéré ses connaissances, la plupart d'entre elles en tout cas, il lui faudrait désormais apprendre à les contrôler de manière plus rationnelle. Un petit sourire naquit sur ses lèvres, il n'y avait pas beaucoup de confrères en qui elle estimait pouvoir faire confiance, mais qui sait? Sa route désormais se pavait d'inconnu et d'imprévu. Amarane choisissait de laisser une part de chance au hasard.

Et maintenant? Et bien, elle était toujours là, elle savait de quoi elle était capable, elle savait ce que voulait la plupart des gens qu'elle croiserait. C'était parfois si facile de leur laisser croire qu'ils avaient le contrôle. Amarane, elle, avait été soumise, captive du vrai contrôle alors elle pourrait bien les nourrir de leurs propres illusions.

Pour sa part, elle prendrait ce qui lui serait nécessaire, sans remords, sans regrets. La jeune femme se laisserait bercer aux rythmes et chaos de la ville, des horizons qu'elle choisirait de regarder, des rencontres qu'elle ferait.

Encore quelques jours à se terrer ici puis elle prendrait la route du Bosquet pour retrouver sa chère Hanaraka. Son ancienne petite protégée à l'esprit vif et la langue agile la reconnecterait à ce monde auquel il lui semblait ne plus appartenir. La reconnaîtrait-on? pensa t-elle, amusée. Elle en doutait vu l'instabilité et la légèreté de la société krytienne. Ce n'était pas plus mal, elle aurait ainsi l'impression de tout recommencer à zéro.

Quelques jours.
Encore quelques jours.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:06


Amarane avait repris son habitude de fumer sur le balcon quand elle ne pouvait pas dormir. Et depuis longtemps, ses nuits étaient en général peu propices au repos. Au fil des bouffées, elle pensait, réfléchissait, faisait le bilan, échafaudait, bienheureuse d'avoir retrouvé cet esprit qui lui avait cruellement fait défaut ces derniers mois.

Hanaraka avait changé, elle avait quitté une jeune pousse, elle retrouvait une sylvarie adulte, plus calme, plus posée, plus mûre. Sa fraîcheur, sa candeur et son énergie lui manqueraient mais elle aimait beaucoup ce qu'elle avait entraperçu la veille. Son compagnon, Gaellym avait su éveiller son intérêt avec ses histoires de jardinage et elle s'était promis d'étudier ce savoir si particulier qui; sans qu'elle ne sache réellement pourquoi, lui parlait étrangement.

Elle avait quitté une amie, il lui plaisait de croire qu'elle en avait retrouvé deux. Ils avaient été les premiers à lui parler du front mordrem. C'est à croire que le Promontoire vivait avec des oeillères, personne ne lui avait parlé de l'éveil de ce nouveau dragon et de ses sbires. La jeune femme essayerait de se renseigner sur cette nouvelle menace et verrait comment elle pouvait apporter son aide en ces temps troublés. Pour la première fois, elle avait réussi à parler de la mort de Draseth, de celle de leur enfant, de ce que la Comtesse lui avait fait subir sans émotion, sans douleur. Un cycle s'était achevé, un autre recommençait. Elle venait de gravir la troisième montagne, la plus difficile sans doute mais cette étape l'avait irrémédiablement armée pour ce qui lui restait à vivre.

Ses affaires reprenaient doucement vie. Il était presque curieux de voir combien son art pouvait intéresser des investisseurs potentiels. L'un d'eux avait laissé son odeur sur les draps d'ailleurs, dans ce lit qui auparavant n'avait connu que Draseth. Un souvenir qu'il avait fallu exorciser avec brutalité pour ne plus qu'il fasse mal. C'était fait et l'ardeur de son jeune amant l'avait réconcilié avec ce corps qu'elle détestait, l'exhibant à outrance en une sorte de pervers paradoxe. Cet outil lui avait fait défaut, elle devait en reprendre le contrôle. C'était un bon début, se dit-elle esquissant un sourire en coin.

La cendre du cigarillo se détacha, s'envola, resta en suspension quelques instants avant de se dissolver dans la nuit fraîche. Amarane la suivit quelques instants, pensive, repensant à sa discussion avec Ravelth.

Celle-ci l'avait perturbée et, telle une funambule, elle oscillait entre se précipiter vers le manoir pour plonger de nouveau dans l'abîme ou au contraire reculer d'un pas et refuser de se laisser assujettir. "Du sang, de la perversion et de la luxure." Ces mots éveillaient ses instincts qu'elle s'efforçait de refouler depuis son retour. Sa propre Bête s'ébrouait en elle, encore emplie de sommeil, affamée, impérieuse, réclamant son festin. La sorcière de sang se surprenait à aimer cela, à en avoir envie.

Les yeux saphirs se fermèrent.

Le coeur encore battant dans sa main. Noire couverte de sang, dagues en main en train de rire. Le regard de ses proies tandis que la vie les quittait. Son bien-être, une fois sa sinistre besogne accomplie.

Amarane lâcha le cigarillo qui alla s'écraser dans la ruelle en contrebas et s'accrocha à la rambarde. Le drap qui la vêtait glissa, révélant les scarifications en forme de runes qui ornaient encore son bassin. Le souffle coupé, elle se pencha en avant. Elle luttait encore, trouvant quelque réserve.

Elle luttait encore. Mais pour combien de temps?
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:07


L’homme en armure lourde s’inclina lentement devant Amarane, penchée sur une carte au-dessus de son bureau. « Tout est prêt, Dame. Nous pouvons partir lorsque vous le désirerez. » Les yeux saphirs qui étincellant d’une lueur froide se relevèrent pour contempler un instant son fidèle homme d’armes et lui fait signe d’approcher. « Où se situe leur dernière localisation, Beran ? »

Le chef des Chiens de guerre désigna un point du bout de son index cerclé de mailles. « Ici. Ils venaient de quitter le Corridor du Faucheur et se dirigeaient vers le Mur Fendu, certainement pour aller dans les Plaines d’Ashford.
- Tu es sûr de ton informateur ? L’objet était avec eux ?
- C’est certain, gardé par un des adeptes dans une boîte scellée par la magie du sang. »


Amarane réfléchissait, examinant la carte jusqu’à s’en faire mal aux yeux. Son doigt suivait le possible parcours qu’allait emprunter la troupe mais ce qu’elle redoutait était en train de se produire. « Je ne peux pas les laisser atteindre les catacombes d’Ascalon, Beran. Tout serait perdu. Mais si nous les interceptions, je perds toutes mes chances de pouvoir localiser la Comtesse. » Son poing se serra rageusement. « La peste ou le choléra ! J’ai besoin de cet objet pour sauver l’épouse d’Arawn et empêcher le dernier sceau de se briser. Mais si j’abats la Comtesse, tout est fini. Elle seule peut libérer la Bête. »

L’esprit de la sorcière de sang fonctionnait à toute vitesse, pesant le pour et le contre. Mains croisées dans le dos, immobile, Beran attendait la mine impassible, s’abstenant de toute observation connaissant suffisamment Amarane pour savoir quand son conseil n’était pas requis. Cela faisait plusieurs années qu’ils se connaissaient maintenant. Il avait assisté à son sauvetage par le Revenant lors de la destruction du manoir Arganthe. Il était impossible de reconnaître dans cette femme cruelle, sûre d’elle et ambitieuse, la pauvre chose pitoyable et traumatisée qu’il avait vu dans les bras de son maître. Lorsque le Revenant avait été piégé par sa propre apprentie, il lui avait tout naturellement offert ses services. Depuis, leur partenariat bien que secret était des plus lucratifs tant pour l’un que pour l’autre. Une demie douzaine d’hommes faisait toujours partie de ses Chiens, il recrutait tout ce que la société laissait de côté : parias, repris de justice en fuite. Des hommes qui tuaient sans poser de question, voyaient des choses affreuses sans que cela ne les touche, des mercenaires sans scrupules gouvernés par une seule et unique chose : l’argent.

Il fallait choisir, prendre une décision et vite. La rage d’Amarane faisait battre son cœur. Quelque part, sa vieille ennemie se trouvait à sa portée. La fin approchait : si elle prenait le risque de rapatrier le Cœur de la Bête auprès d’elle, c’est qu’elle était fin prête pour le rituel du dernier Sceau. La Bête allait de nouveau s’incarner. Réunir le Cœur et la Bête en un seul endroit, c’était prendre de trop grands risques. La rage ne devait pas l’aveugler, elle se devait de rester lucide en cette heure grave. Elle soupira longuement avant de lâcher : « Ce sera le Cœur. Interceptez la troupe, tuez les tous. Aucun survivant pour pouvoir raconter. Je vous attendrai aux Contreforts du Voyageur, ici. »

Beran marqua un temps de surprise. « Vous ne nous accompagniez pas, Dame ?»

Un petit sourire en coin naquit sur les lèvres de l’élonienne. « Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, Beran. Mais je commence tout juste à remettre en place ma couverture, ce n’est pas pour prendre le risque de la mettre en jeu en voyageant à côté des Chiens. Non, en bonne commerçante frivole et évaporée je vais éprouver le besoin d’aller goûter aux bienfaits des sources d’eau chaudes nornes. »

La main gantée de soie se posa sur le bras armuré de Beran. « Tu m’apporteras le coffret au point de rendez-vous. Toi et toi seul, Beran. Je ne veux voir aucun de tes Chiens, tu entends ? Va, et ne me déçois pas.
- Je ne vous décevrai pas Dame. Comme toujours.
- Puisse le Prince de l’Hiver entendre tes paroles, Beran. »


Quand son homme d’armes fut parti, Amarane débarrassa le bureau de toute trace de l’expédition, y remettant le désordre habituel en rapport avec sa profession. Il ne restait plus qu’à attendre. Elle descendit au rez-de chaussée, actionnant le mécanisme dans le mur ouvrant le petit passage menant au sous-sol de la maison.

Ils étaient là dans le cercle, l’un terne et sans vie, l’autre brillant à la lueur des braseros, la narguant sur son lit de velours cramoisi. Amarane regardait le bezoar. Elle avait reculé tant qu’elle avait pu l’inévitable. Se déshabillant, elle prit le tambour et ses instruments, entamant le rituel.

Quelques heures plus tard, la pièce vide et sombres accueillait en son sein deux gemmes sombres, vidées de toute chaleur, toute vie.

Le rite était consommé.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:08

Amarane regardait le coffret en bois laqué qui se trouvait au milieu du cercle d'ossements. A la lueur des braseros, les entrelacs de runes se devinaient, narguant la sorcière de sang. Les protections qui bardaient l'objet étaient telles qu'elles lui soulevaient le coeur. La magie du sang toute entière l'imprégnait mais elle distinguait aussi quelques maléfices propres à l'école de nécromancie, des envoûtements et la touche personnelle de la Comtesse, cette magie du sang si particulière, à mi-chemin entre l'enchantement et l'altération.

En ce qui concernait la magie du sang: le constat était sans appel: seul le sang de la Comtesse en viendrait à bout. Inverser les runes serait ensuite un travail fastidieux, épuisant mais elle pourrait réussir. Pour le reste...

Pour le reste, il était temps pour elle de faire venir à elle des alliés expérimentés, dignes de confiance et désireux d'en découdre une bonne fois pour toute avec la menace à venir. Tâche difficile quand on savait que chaque adepte du sang pouvait se dissimuler n'importe où, être n'importe qui.

Combien de temps faudrait-il à la Comtesse pour lancer l'offensive? Sans ce coffre, elle était paralysée. Amarane allait donc devenir la cible concentrée de tous ses efforts. Elle avait besoin d'alliés mais aussi de protection. Physique et mystique.

L'heure tournait, une Vicomtesse était à l'agonie et sa mort sonnerait sans doute leur défaite. Elle soupçonnait l'âme machiavélique de la Comtesse d'avoir imaginé déjà une solution de repli qui lui permettrait de faire le rituel sans le Coeur de la Bête.

Amarane se passa la main sur le visage. Tant à faire, si peu de temps. Si peu de gens sur qui compter. "Seigneur de l'Hiver, montre moi le chemin, je t'en prie..." murmura t-elle dans le silence de la loge.

Malgré tous ses sacrifices, elle doutait de leur propre réussite.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:08

Après s'être copieusement étendue de tout son long dans les escaliers menant à sa chambre, Amarane titube jusqu'à son lit et s'y assoit quelques minutes, reprenant son souffle, attendant que sa vision se stabilise.

Au-dessus de son lit, dans le détail d'une boiserie, elle active un petit compartiment dont elle extrait un portrait. Les yeux verts de son défunt époux croisent les siens et elle y lit tout le reproche dont il peut l'accabler de là où il se trouve désormais.

La jeune femme se mord la lèvre, presque jusqu'au sang et sa main trace les contours du visage tant aimé, de celui qui avait su la ramener vers sa propre humanité.

"Je suis désolée" réussit-elle à articuler de'une voix pâteuse. "Je suis désolée mais tu es mort!" Ses ongles se mettent à griffer frénétiquement la toile, finissant par la faire rompre. Les yeux brillants de rage, elle déchiquette la peinture qu'elle avait faire réaliser par un artiste en vogue peu après leur mariage secret.

"Tu es mort et lui est vivant!" hurle t-elle, jetant ce qui reste de l'oeuvre contre un mur. Amarane tombe à genoux, elle aurait tellement besoin de pleurer à cet instant. mais ses yeux restent sec, seule la colère parvient à faire battre de façon désordonnée cet organe que l'on nomme coeur. Ce même coeur qui la trahit, faisant d'elle non pas la machine inhumaine parfaitement huilée que l'on attend mais un être encore doté de sensibilité, d'émotion.

"Il est vivant. Vivant." L'élonienne se cache le visage de ses mains, fermant les yeux, restant là, à se balancer.

Amarane aime et cela ne pourrait pas sonner pire qu'une malédiction.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:08

"In the tumult of youth
I forgot about your promise
Of our tryst
My love for live overflowed
In the death of your splendor

And now as I make haste
Towards my own death
My pride breaks
Under its own weight

The clamor of truth
Beats steadily in my breast
As your love
Tears into the sheath of my pain

The sin is mine
And I weep at my unworthiness
To tend your garden"


De retour de son expédition au cimetière, Amarane ne pouvait pas trouver le sommeil. La frustration l'empêchait de dormir. Celle de ne pas avoir trouver d'indices tangibles, seulement de vagues informations sur les signes présents, la fameuse vague rouge et la marque d'Apocalypse. Aucun schéma mystique n'avait été perçu dans la disposition des tombes. Personne n'avait rien vu, rien entendu.

Elle n'était pas encore sans ressources mais cela partait mal. Elle enquêterait sur cette vague rouge dans un premier temps, vérifiant les indications de cet homme croisé au cimetière hier soir, un certain Alucard Néo dont il lui faudrait connaître les réelles motivations. Les quartiers populaires, il lui faudrait replonger au coeur de la vie d'autrefois, une vie à qui elle avait tourné le dos il y avait près de quinze ans, séquestrée par une mère démente qui entretenait son rejeton dans sa propre folie.La jeune femme n'était pas sûre que c'était une bonne idée mais cela s'avérait nécessaire. Elle commencerait sans doute par le Pichet sans Fond puis irait dans ces quartiers Est si peu sécurisés. Quel serait son angle d'attaque? Pour l'heure, elle l'ignorait, passant en revue les diverses options dont elle pouvait disposer.

Son instinct lui soufflait qu'une puissante magie avait été mise en oeuvre pour couvrir les actions et les traces des impies qui avaient osé défier le rôle de gardien de son dieu. Magie des ombres ou d'envoûtement, sans doute, il était impossible à un groupe d'entrer, de fracasser des tombes et de voler des cadavres sans que rien ne transpire sauf si lesdits sbires étaient magiquement dissimulés.

Il y avait bien sûr la solution de faire parler les morts. Bien sûr. Mais cela demanderait des moyens et de prendre des risques qui pour l'heure n'avient pas à se présenter. Si l'enquête de terrain ne donnait rien, elle envisagerait cette option en dernier recours. Déliah lui manquait à cet instant, tout comme Ravelth. Leur esprit incisif lui faisait cruellement défaut.

Peut-être Eskel pourrait lui donner quelques informations utiles pour pouvoir pénétrer dans ces quartiers? Elle chassa cette pensée en un instant. Cet homme prenait de plus en plus de place dans son existence et cela ne pouvait en être ainsi. Amarane était un peu perdue le concernant. Il ne cherchait pas à l'attirer dans son lit, comme la plupart des hommes qu'elle rencontrait. Cela la faisait sortir de sa zone de confort du coup, avoir des aventures sans lendemain avait quelque chose de rassurant, c'était des brasiers qu'elle allumait certes mais auxquels elle ne se brûlait pas et qui s'éteignaient aussi vite qu'ils avaient pris. Le mercenaire lui bousculait tout cela. Il recherchait pourtant sa présence, elle ne le laissait donc pas indifférent. L'esprit tordu de l'élonienne ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était peut-être en mission de surveillance pour les Volderodh. Cela expliquerait du coup beaucoup de choses... Ses yeux lancèrent des éclairs. Si c'était le cas, c'est un jeu dans lequel elle était passée maîtresse. Devait-elle le chasser de sa vie? Ce serait relativement facile mais peu satisfaisant. Il était trop tôt par contre pour le laisser entrer, surtout s'il ne jouait pas franc jeu avec elle. Elle regarda le bouquet de fleurs dans son vase qui commençait à piquer du nez et sourit. Si elle voulait être totalement honnête avec elle-même, cela lui plaisait d'avoir cet énergumène à ses côtés. Et c'était déjà beaucoup, pour ne pas dire trop.

Amarane monta à l'étage et laissa son regard errer sur les maisons plongées dans les ténèbres. La nuit était loin d'être finie, elle avait encore fort à faire. Dans les entrailles de sa cave, un coffret attendait qu'elle finisse de percer à jours le secret de ses runes de sang. Demain recommencerait le jeu des masques, des salamalecs et des mensonges. Cette nuit, comme souvent, elle se permettait d'être enfin elle-même.

A trop jouer, on finit par se perdre soi-même au coeur du jeu.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:09

Andrea se lova contre Amarane, frissonnant sous le coup de la peau glacée. "Tout est en place petite mère. Nous approchons du but."

L'élonienne acquiesça, lui caressant les cheveux. "Le jeu est devenu si complexe, enfant, que je m'y perds parfois. Mais oui, peu à peu, nos pions rejoignent leurs places stratégiques.
- J'ai un peu peur, petite mère.
- Tu ne dois pas avoir peur, Andrea. Ce sera bientôt fini.
- Il te haïra pour ce que tu vas lui faire vivre.
- Autant que je l'aime. L'équilibre sera respecté. Je peux vivre avec la haine de ton père dans un monde où la Bête n'existe plus.

- Mais s'il avait un autre plan? Une autre solution?"

Amarane étira ses lèvres en un sourire triste. "Alors nous n'aurons pas à appliquer le notre, enfant. Mais si rien n'est fait, nous agirons. Au moment où tu lui remettras le masque, les dominos tomberont, les uns après les autres et le processus sera irréversible.
- J'aimerai qu'il nous sauve, petite mère. J'aimerai qu'il nous sauve toutes.
- Je sais mon amour. Je sais. Mais nous devons nous préparer au pire et êtes prêtes lorsqu'il se produira.
- Je serai prête. Ainsi que tu m'y as préparé.L'es-tu, petite mère. Es tu prêtre à comparaître devant ton Seigneur?
- Je n'ai fait que te transmettre ce que j'ai moi-même appris autrefois. Tu es mon héritière, tu emporteras mes secrets avec toi. Et oui, Andrea je suis prête. je le suis depuis le jour de ma naissance.
-Ne regretteras-tu rien en ce bas monde?


Amarane hésita, un peu trop longtemps sans doute pour ne pas donner raison à l'envoûteuse.

L'élonienne soupira, ne répondant pas puis finit par murmurer. "Ils sont nombreux ceux qui sont déjà tombés, il me tarde de les retrouver et de goûter enfin à l'étreinte de mon seigneur et maître."

Andrea et la templière se regardèrent, chacune affichant un tendre sourire, restant là, serrées l'une contre l'autre dans le silence de la nuit. A côté d'elles, un coffret d'ébène de facture canthienne luisait d'un éclat sinistre.[/i]
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:09

Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.

Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil,
Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil.

L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.

Alors le chevalier Malheur s'est rapproché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.

Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure.

Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer
Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier

Et voici que, fervent d'une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine !

Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
En s'éloignant, me fit un signe de la tête

Et me cria (j'entends encore cette voix) :
" Au moins, prudence ! Car c'est bon pour une fois. "


-Verlaine

Meryem a apporté ce jour un lourd livre de cuir rouge sang ainsi qu'un nécessaire à écriture. Entre deux périodes de repos, Amarane y écrira, non pas de son habituelle écriture élégante et déliée mais avec la difficulté d'un enfant qui apprend l'écriture. Il lui faudra plusieurs essais pour rédiger le texte qui suit...



Je n'ai aucune réponse à la plupart des questions que je me pose. Il y a en moi cet instinct qui me fait tirer quelques conjonctures mais rien de plus.

Je sais que je suis morte. C'est une certitude par contre. Je sais que Tancrède et moi avons entamé un long et paisible voyage, ensemble et que nous avons été brutalement ramené à notre point de départ. Je ne sais pas pourquoi, ni comment je suis morte. D'après ce que je crois comprendre, il s'agit d'une balle dans la tête. Aucune impression, aucun souvenir n'infirme ou ne confirme cela. J'ai juste la sensation d'avoir été arrachée brutalement d'un état de sérénité absolue. Et cela me fait souffrir. Dans chaque parcelle de mon corps qui hurle de nouveau devoir se mettre en branle pour me faire vivre. Dans chaque recoin de mon esprit qui refuse ce monde, refuse cette vie si difficile à appréhender.

Je souffre, nous souffrons à l'unisson. Partis ensemble pour ce long voyage, Tancrède et moi en sont revenus ensemble. Je le ressens aussi exactement que si j'étais lui et je sais que la réciproque est vraie. Nos âmes sont irrémédiablement et indubitablement liées. Tout autour de nous, les gens s'interrogent, sans doute s'insurgeant et se perdant en conjonctures. Je crois qu'il nous est impossible de pouvoir leur faire comprendre combien nous sommes bien ainsi et surtout qu'il y a certaines choses qu'il faut simplement accepter avec humilité et reconnaissance.

Je cherche où est la part de la volonté de Grenth en tout cela. Autrefois profondément dévouée à lui, je le ressens aujourd'hui dans chacune des fibres de mon être. Il est le sang qui coule dans mes veines, ce coeur qui bat, ces poumons qui se soulèvent pour inspirer. Je regrette de ne pas avoir terminé le voyage mais je crois deviner que le Dieu nous a renvoyé en ce monde. Si telle est Sa Volonté, il nous faut alors vivre, aussi dur que cela puisse être. L'inévitable « pourquoi? » se pose alors. Ne nous a t-il pas jugé dignes de rejoindre Son Etreinte? Attend t-il quelque chose de nous? Voulait-il nous montrer quelque chose en agissant ainsi? Nous ne sommes pas là par chance ou par hasard, cela me semble être de plus en plus une évidence.

Sur notre lit de douleur, nous nous reconnectons peu à peu au monde. La lumière blesse moins nos yeux, les sons nous paraissent moins forts. Notre corps et notre esprit nous ont encore défaut mais les médecins nous assurent qu'il y aura peu de séquelles si nous survivons une semaine. Tellement peu qu'ils ont employé le terme de « miracle ». Et je pense que c'est exactement de cela dont il faut parler. Ce qui nous est arrivé est un miracle, la volonté du Sombre Seigneur.

Je me découvre des affinités avec des gens que je ne connaissais pas ou peu et cela me semble parfaitement naturel. Héloïse, Aelys notamment sont devenus les rayons de soleil de mon existence. Il y a aussi des visages connus dans les gens qui viennent me voir. Ma chère Hana' par exemple. J'ai par contre la sensation d'avoir oublié quelque chose d'important, de vital et je ressens en moi comme un grand vide. J'ai perdu quelque chose durant ce voyage, quelque chose qui asseyait les racines de mon être. Pour l'heure, je ne parviens pas à me rappeler ce que c'est. Mais une chose est sûre, celle que j'étais avant n'est plus. Cette mort m'a détruite, vidée, purifiée. Je me dois aujourd'hui de me reconstruire. Comme une seconde chance, celle de réparer la folie que j'ai commise autrefois dans les terres nornes? Est-ce cela la leçon que veut nous inculquer le Dieu? O Seigneur, comme tes voies sont parfois impénétrables!

Le temps sans doute aidera à notre compréhension. Pour l'heure, je me blottis contre mon âme soeur et je savoure la communion de nos consciences parfaitement accordées dans la mort et qui doivent aujourd'hui trouver l'unisson dans la vie qui s'offre à elles.

Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:10

Le journal continue de cette écriture hasardeuse, enfantine, la page parsemée de ratures, pâtés. Un long travail d'écriture laborieux auquel Amarane s'attelle chaque jour. De sa chambre d'hôpital, elle réapprend tout: à lire, parler, écrire, faire les gestes du quotidien avec seulement le côté gauche de son corps...

Je suis tellement perdue, tellement que je pense que personne ne puisse deviner à quel point. Il y a l'avant, "avant l'accident", une terre étrangère, inconnue que les autres me font arpenter mais qui ne trouve que peu d'échos en moi. Peu mais quelques uns. Le prénom d'Asra a délicieusement tinté à mes oreilles par exemple. Quand quelqu'un que je ne connais pas entre dans ma chambre, l'angoisse me saisit. Connaissais-je cette personne? Quels liens avions-nous? Quel message du passé est-elle venue m'apporter?

La longue discussion que j'ai eu avec Faendyr et Hanaraka hier m'a laissée un goût amer. Qui était cette femme qui se cachait dans la société du Promontoire, héritière d'un combat dont la seule mention me dépasse aujourd'hui? Je ne me sens pas l'âme d'une guerrière, ni l'héritière d'une destinée particulière. Surtout quand celle-ci ne me laisse d'autre choix que d'accepter de me sacrifier éventuellement pour que cette chose - que mes amis nomment "Bête"- ne soit pas libérée. Je n'ose avancer non pas par peur de ce sacrifice, non, parce que je ne pense tout simplement pas être à la hauteur.

Mon passé est celui d'une inconnue qui donnait tout à ce seul et unique but. Cette femme avait fait taire ses sentiments, perdu tout ce à quoi elle tenait et ne voyait les gens ou les situations comme autant de moyens, de leviers sur lesquels peser pour atteindre son but...

Et puis il y a "après l'accident". La souffrance tout d'abord, dans tout ce corps qui me fait défaut mais aussi dans mon âme. Des peurs irraisonnées, non contrôlées, des angoisses terribles dont je ne connais pas la raison, le claquement d'une porte suffit parfois à me laissait à demie évanouie. L'absence de Tancrède qui est dans le déni de tout ce qui nous arrive qui laisse un trou béant et m'empêche d'être complète. Sombre Seigneur, vois dans quels affres tu plonges ta servante. Pourquoi une telle épreuve? Que souhaites-Tu me voir faire? Quelle leçon exiges Tu de moi? J'ai peur de n'être plus digne du Dieu, qu'il m'ait rejetée.

Je ne sais plus qui je suis, mais je commence à voir apparaître ce que je veux être. Je veux être libre d'exister, non pas sous le joug de cette destinée, de celle-ci je dois me libérer en accomplissant ce qu'on exige de moi. Je veux vivre et compter pour les gens qui croisent ma route. Je ne veux plus être un corps qu'on savoure le temps d'une nuit, un outil qu'on utilise pour parvenir à ses fins. Je ne veux plus voir les autres comme des possibilités, des besoins, des moyens. Je veux juste les considérer comme des gens, des personnes. Je veux m'incarner, ressentir. Je veux que, si demain je suis rappelée auprès de Mon Seigneur, il y en ait pour me pleurer et me regretter.

Aujourd'hui est un grand jour, je fais un pas vers la liberté. On vient de me livrer un fauteuil et une paire de lunettes. Je vais pouvoir sortir un peu à l'extérieur, si quelqu'un daigne me pousser, ne pouvant moi-même faire tourner les roues. Je suis une infirme, mais une infirme qui va pouvoir sortir. Je redoute un peu d'affronter le regard des autres mais l'envie de respirer un peu d'air frais est bien plus forte...

Je sais déjà pour qui sera ma première visite. Qu'il le veuille ou non, Tancrède aujourd'hui devra me faire face et entendre certaines vérités...
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:10

Le journal continue de se remplir de cette vilaine écriture.

"Le Sombre Seigneur nous protège, nous sommes en grand péril. Faendyr vient d'être emmené dans la grande chambre que j'occupe désormais de par sa volonté. Son état est critique après qu'il ait examiné la balle, cette fameuse balle qui serait la source de tous nos maux. On parle de celle-ci comme étant le focus de notre lien d'âme. Maudite cervelle qui ne me permet pas d'accéder à ma magie! Un seul rite de sang m'aurait permis... Je viens de perdre mon dernier rempart protecteur. Si le Vicomte Arawn dit vrai, nos ennemis ont les coudées franches pour nous abattre. Nous sommes juste à la portée de leur main, sans défense...

Je ne peux que prier, je ne sais que prier. Que faire? Hana' semble hors de portée, Alex serait incapable de faire face à cette Comtesse qui a juré ma perte. La Vicomtesse Arawn se retrouve exposée sans son époux pour veiller sur elle...

Que faire? Que décider? De combien de coups d'avance dispose notre ennemie? Je tourne dans cette chambre telle une lionne en cage, j'ai envie de hurler. Je n'ai pas accompli tout ce chemin pour qu'on me retrouve bêtement égorgée sur mon lit d'hôpital ou pire, que je serve les noirs dessins de mon ancien mentor..."

L'écriture sur une autre page est plus fébrile, de travers, à peine lisible:

"Nous sommes au milieu de la nuit, je me suis éveillée brusquement, quelqu'un nous observait dans la chambre. le temps d'un battement de cil et l'ombre avait disparu. Ils sont là. Que le Prince de l'Hiver nous protège! Ils sont là..."
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:11

Journal d'Amarane:

"Alex m'avait préparé une surprise hier soir. Nous sommes sortis du Promontoire cahin-caha sur mon fauteuil, bien abritée sous ma capuche puisqu'il m'est difficile encore d'affronter le regard des autres. Il m'a portée jusqu'à un moulin dans la vallée de la reine où les gens du coin faisaient la fête et dansaient. Il m'a promis de me ramener ici lorsque je marcherais et qu'il me ferait alors danser. D'aussi loin que je me souvienne, je crois qu'on ne m'avait jamais invitée à danser. Cela me touche et m'émeut, une drôle de sensation que je découvre également. Hier, serai-je restée impassible, de glace face à telle déclaration? Sans doute, je n'en sais rien. Ce qui est sûr c'est qu'aujourd'hui, cette émotion m'est restituée et je la savoure comme il se doit.

Nous nous sommes assis ensuite un peu plus loin, contemplant une vue magnifique sur la vallée. Tout était paisible, doux, serein. Encore quelque chose dont je n'ai pas l'habitude. Alex a cet étrange don -il l'appelle lui-même la thérapie Alex- de me faire sentir au plus juste avec mon être. Nous avons parlé longuement de choses que même à toi je ne te restituerai pas de peur que ce journal finisse entre de mauvaises mains. Ce que m'a confié cet homme lui appartient et je ne le divulguerai pas. Nous avons échangé nos pendentifs respectifs parce que vois-tu, mon ami doit quitter le Promontoire. Ce n'est sans doute pas plus mal vu l'orage qui se prépare pour moi.

Je lui ai dit que lorsqu'il reviendrait, je serai libre. Je crois qu'il a compris que je ne pouvais pas lui promettre d'être là, à l'attendre. Je serai libre soit parce que la Bête ne sera plus, soit parce que la Comtesse m'aura éliminée. Dans un cas comme dans l'autre, je ne serai plus enchaînée à ma destinée. Juste libre.

J'ai promis de lui écrire chaque jour même si je ne lui enverrai pas ces lettres. Je le ferai. Demain, la première missive sera rédigée et je l'apprendrais par coeur. Reviendra t-il? Je l'espère en tout cas. Je pense qu'il va me manquer. Je me suis habituée à sa présence quotidienne, à ses drôleries, au fait qu'il rende chèvre toutes les infirmières du dispensaire.

Mais dans cette absence, je vois pointer quelque chose de... D'étonnant. Je ne peux en dire plus, je vois seulement quelque chose qui se dégage mais je ne peux le nommer.

Le Vicomte était éveillé quand je suis rentrée. Il dit que nous devons nous parler, que c'est important. L'angoisse me prend, j'ai peur, non pas de cet homme pourtant inquiétant mais bien de ce que je redoute qu'il me demande... Mais moi aussi il me faut désormais affronter certaines vérités, faire certains choix.

Le moment est venu, je ne peux pas reculer. Puisse Grenth me donner la force..."
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:12

Lettre écrite dans le journal d'Amarane toujours d'une écriture brouillonne:

Le Promontoire, 78ème Jour du Zéphyr, 1328apE

Très cher Alex,
Voici donc comme promis ma première lettre. j'espère qu'elle te trouvera en bonne santé et que ton voyage s'est passé au mieux. Pour ma part, j'ai très peu dormi et beaucoup pensé.

Hier soir, John, l'enquêteur séraphin est venu me voir. Il va la semaine prochaine m'amener voir un psychomancien pour tenter de me faire revenir les souvenirs de l'accident. Je ne demande pas mieux mais Faendyr m'a expliqué qu'il y a certaines choses de l'avant qu'il vaut mieux taire surtout devant les séraphins. Ma sinistre histoire va t-elle me rattraper? Pour ma part, je pense qu'ils ne s'intéresseront qu'à l'accident en lui-même et je ne te cache pas que j'aimerai savoir enfin ce qu'il s'est réellement déroulé ce soir là entre Tancrede et moi. Et surtout quelle part de responsabilité j'ai dans tout cela...

Ta dernière visite fut un crève coeur. Je déteste définitivement les au revoir. Mais je garde avec moi ton image, celle où tu te retournes la main posé sur le pendentif que je t'ai donné. C'est elle qui apparaîtra lorsque je penserai à toi, lorsque tu me manqueras.

Nous allons devoir partir à notre tour. Le dispensaire est un endroit bien trop exposé pour que nous puissions y rester. J'ignore où Faendyr compte m'amener et c'est très bien comme ça. J'ai décidé de lui faire confiance et surtout je lui ai demandé de devenir mon mentor. Depuis l'accident, bien que je sente toujours la magie en moi, j'ai du mal à me reconnecter à mon pouvoir, comme s'il s'était considérablement affaibli. Je sens toujours cette étrange affinité avec la magie du sang, bien que moindre mais pour le reste, je crois que tout reste à faire. De ce côté là, il est temps que je devienne véritablement un mage et que je me consacre à l'étude de la magie.

J'ai également accepté de reprendre le flambeau pour combattre notre ennemi commun. J'avais le choix, Alex, mais cette destinée qui me fut imposée autrefois, je la saisis aujourd'hui à bras le corps et je choisis de l'accomplir. L'enjeu en vaut la peine: ce n'est rien de moins que la liberté qui m'attend au bout du chemin. Quel Homme n'a pas rêvé de ce combat un jour? Tu souriras sans doute en lisant ces phrases empreintes d'un idéalisme un peu naïf. Vois-tu, je suis un peu comme une enfant qui s'éveille et qui redécouvre le monde. Ma bulle de froideur et d'indifférence a brusquement éclatée et me voici au contact de sensations qui me sont totalement étrangères.

Pourtant, il va me falloir réapprendre la dureté, l'impassibilité, la concentration tendue vers un but. Je crois bien que nos ennemis ne nous feront aucun cadeau et se serviront de la moindre chose pour nous atteindre. Te savoir loin de moi me rassure donc. Je ne voudrais pas que tu aies à souffrir de choses terribles à cause de moi. Bien trop de gens sont morts déjà au nom de la folie de la Comtesse. Aujourd'hui ce sera entre elle et nous. Dans ce nous, j'y mets Faendyr, Hana' dans une certaine mesure et moi-même.

Ce matin, pour la première fois, j'ai réussi à bouger un peu les orteils de mon pied droit. Il semble que la sensibilité revienne peu à peu de ce côté là. Les médecins ne se prononcent pas encore mais c'est très encourageant pour moi. Ma vision et mes troubles de mémoire pour l'heure ne s'arrangent pas et mon coeur reste fragile. Mais ce jour nouveau semble déjà rempli d'espoir.

Hana' et Gaellym sont passés hier soir. Mes deux amis sylvaris sont toujours aussi agréables et nous avons parlé longuement jardinage. Un jour, comme je te l'ai dit, nous irons les voir au Bosquet. Gaellym t'a qualifié de "charmant jeune homme" et oserai-je te dire que j'ai discerné une pointe de taquinerie dans ses propos?

Prends bien soin de toi mon très cher ami, où que tu sois, quoi que tu fasses.

Avec toute mon affection,

Ama
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:12

Entrée du journal d'Amarane:

Le Promontoire, 79ème jour du Zéphyr, 1328 apE

Très cher Alex,

L'heure est grave. Tout a basculé hier soir avec la venue d'Andrea. Le quatrième Sceau est sur le point de céder et le Vicomte et moi-même sommes en danger de mort, cette mort qui nous tourne autour et nous guette depuis quelques temps. Etrange de penser que parfois l'être que tu aimes le plus au monde ne vit plus que pour t'anéantir...Tel est le pouvoir de corruption de la Bête, celui de nous transformer en créatures sanguinaires et folles furieuses. Une belle symbolique également. Comme autrefois j'ai sacrifié Draseth, la voici qui traque Faendyr.

Il nous faut partir, disparaître aux yeux de nos ennemis. Andrea et Braygan vont mobiliser leurs sorts de l'Ecole du Rejet pour se faire. Les sbires de la Comtesse ne doivent pas savoir où nous partons. Toi non plus. Nous allons dans un endroit où, au moins pendant quelques temps, il sera impossible de nous atteindre. Nous avons besoin de temps pour me reconnecter à la magie, pour mobiliser nos défenses, pour tenter de sauver ce qui peut l'être.

Cette nuit, une fois encore, je dois tout laisser derrière moi. Mais c'est pour mieux revenir. Je crois que John, l'enquêteur séraphin se doute que quelque chose ne tourne pas rond. Vu les circonstances, il pensera que j'ai fui. Oui j'ai fui mais cela n'a rien à voir avec l'enquête.

Je pense à toi, ta lettre m'a bouleversée. Tu as l'air de traverser toi aussi bien des épreuves et toutes mes pensées vont vers toi. Fais attention à toi, je t'en prie. Le fait que vous vielliez les uns sur les autres est déjà un peu plus rassurant. Dis toi que ce que nous traversons, cette adversité nous grandit, nous renforce, accroît notre détermination face à nos ennemis.

Il est temps, voici Braygan qui vient me chercher.

Bien à toi,

Ama

Au petit matin, une infirmière ébahie découvrira les lits vides de la chambre qu'occupaient Amarane et Faendyr au dispensaire de Rurikton. Personne n'a rien vu, rien entendu, les deux malades semblent s'être juste volatilisés.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:13

quelque part en Tyrie, 81ème jour du Zéphyr, 1328 apE

Très cher Alex,

Je n'ai pas pu tenir ma promesse de t'écrire tous les jours. Hier j'étais sur le routes, au fond d'un chariot, chaque cahot, chaque ornière venant douloureusement me rappeler combien je suis dans un état d'extrême faiblesse de puis l'accident. Braygan a veillé sur moi tout le long de cet épouvantable voyage. Rien ne nous a été épargné, ni le temps, ni les insectes, ni les aléas du voyage. J'ignorai que la peste était aux portes du Promontoire et lorsque nous avons demandé aux gardes de nous laisser pénétrer dans une zone mise en quarantaine, nous sommes passés pour des fous. Par chance, Faendyr avait préparé notre périple et le sceau de Grenth a mon annulaire gauche a fini de dissiper les dernières réticences. J'espère que dans le chaos ambiant, nous passerons inaperçus. Les hommes de la Comtesse sont à nos trousses, c'est une course poursuite contre la mort que nous devons absolument remporter.

Parvenus au terme de notre expédition, aucun réconfort ne nous attendait. j'ai même presque envie de te dire que notre arrivée sonnait le point de départ de notre véritable voyage. Braygan ne pouvait nous suivre plus avant, c'est donc seulement Faendyr et moi qui sommes entrés dans ce qui allait devenir notre lieu de retraite pour aussi longtemps que les Six daigneront nous protéger.

C'est un lieu sombre et terrible, Alex, bien plus effrayant que tout ce que j'ai pu contempler auparavant. Il n'y a nul repos, nulle détente possibles dans cette enceinte où les esprits tourmentés des morts, victimes autrefois d'un nécromancien dément, règnent en maîtres incontestés. Mais ici s'étend également un lieu de savoir et de connaissances qui dépasse mon entendement. Jamais je n'aurai crû pouvoir trouver rassemblé en un même endroit de tels trésors de science nécromantique. Faendyr n'avait pas menti: ici, nous avons largement de quoi nous préparer pour l'affrontement final avec la Bête.

J'ai beaucoup de mal à me déplacer, il nous a été impossible de faire venir mon chariot roulant jusqu'ici. Je passe du lit à ma table de travail, dépendant de Faendyr pour tout. Peu importe, j'espère surtout que nos esprits, bien éprouvés déjà, ne cèderont pas à cette sinistre ambiance. Si nous survivons à la Bête, je me ferai un devoir d'apaiser ces pauvres âmes tourmentées et de purifier ce lieu qui est une insulte faite aux préceptes de mon dieu.

Mon étude a commencé. J'essaie de rassembler tout ce que je peux pour refaire un petit laboratoire d'alchimie et j'épluche tout ce qui concerne la magie du sang essayant de garder mes tripes bien accrochées, certains ouvrages sont d'interminables descriptions d'abominations, de sévices, de tortures innommables que leur auteur qualifie d'" expériences". Ton souvenir est la seule chose positive à laquelle je me raccroche. Notre discussion près du moulin est devenu une sorte d'événement paradisiaque et lointain.

Je n'ai pas peur Alex, je suis terrifiée. En permanence. De par ce lieu mais aussi par l'idée de ne pas être à la hauteur des attentes qu'on place sur moi. Vais-je parvenir à me connecter à ma magie? Quelles conséquences cela va t-il avoir? Vais-je de nouveau devenir cette femme cruelle, froide et implacable dont le peu que j'ai aperçu ces dernières semaines me dégoûte profondément? Le savoir a un prix mon ami, un prix terrible parfois dont il va falloir que je m'acquitte.

J'espère que je ne me trompe pas et que tout va bien pour toi. Ne pas savoir est étrangement réconfortant, tu sais, au moins je peux m'imaginer que de ton côté, tout est pour le mieux et que tu es en bonne voie pour parvenir au but que tu t'es fixé.

L'étude me rappelle à elle. Il me faut refermer ce journal.

Bien à toi,

Ama
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:13


Requiem



Amarane est simplement vêtue de cette lourde ceinture ornée de gemmes rouges. Assise en tailleur près d'un lutrin sur lequel repose un livre aux pages jaunies, elle fixe, parfaitement immobile, le sol à environ un mètre d'elle, les yeux mi-clos, le visage et le corps parfaitement détendus. Sa respiration, lente et régulière est également profonde. Les techniques de souffle ancestrales, héritage de sa lignée, l'aide à faire le vide dans son esprit, à mobiliser ses énergies spirituelles. Tandis que ses perceptions s'ouvrent et s'étendent, elle se connecte peu à peu aux énergies mortifères du lieu, tel que lui a appris son inquisitrice autrefois lors des longs et pénibles entraînements qu'elle lui dispensait. Cet endroit est gorgé de puissance, mais une puissance malsaine, brute qui peut à chaque instant la faire basculer dans la folie.

C'est un combat intérieur que mène l'élonienne mais il est tout aussi dangereux que si elle se trouvait en première ligne du front mordrem. Un faux pas et dans son état, les séquelles ne manqueront pas de se faire nombreuses et terribles. Avant de commencer, elle a pensé à Tancrède, à ce qu'elle allait lui infliger. "Au mieux, une souffrance telle que tu n'en as jamais ressenti. Au pire...Nous achèverons cette existence pour laquelle nous avons eu quelque répit. Je suis désolé Tancrède, je n'ai pas...Je n'ai plus le choix..." avait-elle murmuré, les yeux brillants de larmes.

Une froide détermination envahit désormais tout son être. Il lui faut réussir ou condamner à périr deux êtres. La jeune femme se connecte aux énergies mortifères mais aussi aux spectres qui hantent ce lieu, elle entend leur complainte, tantôt désespérée, tantôt emplie de haine, de colère. Elle ressent leur solitude, leur douleur, leur rancoeur, leur envie de ce corps chaud, de cette vie qui les nargue.

La connexion est à son apogée, c'est le moment. Un par un, Amarane déverrouille les loquets spirituels qui protège son corps, son esprit et son âme. Une par une, elle fait sauter les protections conscientes ou inconscientes qui retiennent son énergie. armée de sa seule volonté, elle fait face à cette magie étrangère, à ces entités. La voici maintenant impérieuse qui s'élève au-dessus d'elles. Le nécromancien est un maître souvent impitoyable qui base son pouvoir sur le contrôle et la soumission. Amarane n'est pas de ceux-là, elle ne cherche pas à faire plier les spectres à sa volonté pour en faire des serviteurs, non elle cherche à les comprendre, les cajole, les menace, selon ce qu'ils expriment. Elle se fond en eux, elle devient eux.

Un équilibre fragile se créé tandis que ses trois âmes s'alignent enfin. Toujours immobile, elle ouvre alors toutes les vannes, laissant les énergies mortifères l'envahir un instant, la baigner complètement, la pénétrer dans chaque recoin, chaque fissure de disponible. Elle pulse au rythme de cette crypte pendant un temps qui n'a aucune valeur dans le monde matériel, un siècle ou un battement de cil, peu importe...

Déjà les spectres se délectent de ce festin offert. C'est maintenant que la volonté de la nécromancienne doit reprendre le dessus. C'est maintenant qu'il faut se battre pour garder cet acquis. Le sang coule de sa blessure à la tête qui se réouvre. Du sang également coule de son nez, de ses oreilles, de ses yeux, la transfigurant en une sorte d'icône martyre. Les yeux s'ouvrent, ils sont désormais blancs, contemplant des choses qui ne sont pas de ce monde. Le pouvoir afflue tel un cheval sauvage et court dans tout le corps d'Amarane, la piétinant, la faisant avancer à une vitesse folle, la secouant dans tout les sens, de tous ses sens.

Elle vacille un instant, la lutte est bien trop inégale. La nécromancienne ressent, éprouve la magie, elle la comprend, et celle-ci cherche à l'attirer au fond d'un puits sans fin, où rien ne l'attend. Une musique gaie se fait entendre, celle d'une gigue dans un moulin. Elle s'accroche à cet air de toutes ses forces, le prenant pour ancre salvatrice. L'énergie reflue la faisant hurler intérieurement, la douleur est atroce, son coeur s'emballe, ses membres tremblent.

Le rite s'achève. Telle une poupée désarticulée, Amarane s'effondre doucement. Sur le lutrin, le grimoire se ferme en un claquement sec.

Un cycle se termine. Un autre débute.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:14

Nouvelle entrée du journal:

Quelque part en Tyrie, 83ème jour du Zéphyr

Très cher Alex,

Pardonne moi encore, un jour s'est passé sans que tu ne reçoives de lettre. Ici, les événements se sont quelques peu bousculés et je n'étais pas disponible pour t'écrire. Pourtant, tu as été là sans même le savoir. J'ai fait un choix qui m'obligeait à prendre des risques que beaucoup jugeraient inconséquents. Mais en ce qui me concerne, la fin justifie les moyens. Et dans la guerre que nous avons entame, il n'y a pas de place pour la faiblesse, l'hésitation ou les doutes.

Alors j'ai agi. De manière brutale, douloureuse et sans doute inconsciente. Jai mis dans la balance beaucoup de choses. La mort de mes ennemis vaut que je sacrifie tout ce à quoi je pourrai tenir. J'ai eu peur un instant de te retrouver noyé dans un océan d'indifférence et d'oubli. Curieux coup du destin, lorsque tout me semblait perdu, la gigue du moulin a retenti dans ma tête, me donnant le soutien et le réconfort nécessaire pour me tirer du faux pas dans lequel je m'étais mis. Tu m'as transmis une force, Alex, une force incroyable qui est le seul écueil à peu près solide auquel je me raccroche en ce moment.

Cette force dépasse la morsure de l'absence. C'est comme si tu étais avec moi, inconscient rempart protecteur tandis que je manipule des forces étrangères et puissantes. La magie est un art qui apporte beaucoup mais te prend également beaucoup. Je ne parle pas de cette magie que certains pratiquent à des niveaux risibles, s'amputant eux-mêmes de leur énergie par des blocages intellectuels et sociaux. Non, je te parle de la véritable magie, celle qui t'enveloppe, te soulève, te transporte et te pousse parfois aux plus grandes extrémités mais aussi aux plus grandes prouesses.

Il est un dicton qui dit qu'"un grand pouvoir implique de grandes responsabilités". Pour la magie je te dirai qu'"un grand pouvoir implique un tribut important à payer". Je n'ai jamais eu peur de me sacrifier mais orgueilleusement, je me targue de vouloir choisir la cause pour laquelle je me sacrifierai. Elle se trouve là, devant moi, à portée de main. Elle vaut largement que je me consume intégralement pour abattre mon ennemi. Ce qui fut autrefois inscrit dans le sang de ma lignée et de celle des trois autres rejaillit aujourd'hui. Je ne saurai trahir ni mes ancêtres, ni leurs idéaux.

J'ai eu tes lettres, Alex. Je les lis et relis avec attention, elles sont le seul lien avec le monde extérieur, la seule légèreté dans ce monde étouffant et sombre. Tu vas bien, alors quelque part je vais bien. Quelqu'un t'emmènera mes missives et je l'espère te trouvera. Accueilles la pour ce qu'elle est, une messagère, sans doute notre meilleure amie en ce moment.

Prends bien soin de toi car quelque part, tu prends bien soin de nous. Tu ne quittes pas mes pensées.

Bien à toi,

Ama
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:14

Andrea mangeait une tranche de pain et de fromage, assise en tailleur sur le tronc d'un arbre pourrissant, son masque grimaçant posé à côté d'elle. Les lueurs verdâtres du marécage accentuaient encore plus la peau d'albâtre que sa tenue plus que suggestive laissait paraître. Ses yeux améthyste si particulier regardèrent avancer l'élonienne vers elle. Aucune émotion ne passa sur le visage à la mâchoire un peu carrée, un peu masculine qu'elle avait héritée de son père.

« Tu as l'air moins benêt » finit-elle par lâcher entre deux bouchées. « J'ai eu peur que tu ne te transformes en une dinde du Promontoire. »

Amarane sourit en coin. « Moi aussi je suis contente de te voir Andrea et oui, je te remercie je vais mieux. »

L'envoûteuse haussa les épaules d'un air indifférent. « Je suppose que sa seigneurie veut me voir? Sinon, tu ne m'aurai pas faite venir jusqu'ici. » Son ton s'était fait plus réservé encore qu'à l'habitude.

« Andrea, tu es impossible... » la gronda gentiment l'élonienne. « A vrai dire j'ignore ce que te veux ton père. Pour ma part, j'aurai besoin que tu me rendes un petit service. Il faudrait que tu trouves un homme pour lui remettre ces lettres ». Elle lui tendit un paquet de feuillets soigneusement liés entre eux.

La jeune Arawn fronça les sourcils. « J'ai la tête d'un messager? Vraiment? Tiens en parlant de ça, tu as les Séraphins aux fesses...Tu as reçu une lettre de l'autre troufion là...Castelroc. »

Amarane prit connaissance du contenu du message de John et soupira. « Je m'en doutais un peu. Il va falloir que tu ailles le voir aussi. Je ne peux pas me permettre d'avoir en plus les séraphins aux trousses...
- Et tu veux que je lui dise quoi? Que tu fais des choses pas très ragoûtantes au fond d'une crypte avec un autre nécromancien?
- Je suis prête à le rencontrer et à me soumettre à tout ce qu'il voudra. Mais pas au Promontoire. Tu seras capable de lui expliquer ça sans te le mettre à dos? »


Andrea grogna. « Je ne suis sans doute pas douée pour les relations humaines, petite mère mais cette requête me paraît fort simple. Je vais devoir faire la navette comme ça longtemps? » Les yeux violets encadrés de cernes sombres fixèrent la nécromancienne. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dormi? Les temps étaient durs pour eux tous. « Le temps qu'il faudra. Tu es mon seul lien avec le monde extérieur.
- Pour qui sont ces lettres?
- Un ami. Tu ne le connais pas.
- Tu n'as pas d'amis, petite mère. Tu t'es toujours arrangée pour ne pas en avoir. Tu le dis toi-même: pas d'attaches, aucune faiblesse. C'est un de tes amants? Tu n'as pas besoin de leur écrire. Tu sais bien que tu ne les choisis que pour assouvir...
- Andrea...
- Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait quelqu'un entre mon père et toi? »


Les poings de la jeune fille se serrèrent tandis que ses yeux se mettaient à briller d'une colère très mal contenue. La main d'Amarane se referma sur celle de sa filleule avec douceur et tendresse. En cet instant, elle n'avait l'air que de ce qu'elle était, une enfant fragile ayant grandi trop vite et sans attaches. « J'ai beaucoup d'affection pour ton père, Andrea. Beaucoup. Et je pense que la réciproque est vraie, même s'il ne l'avouera jamais. Mais ton père aime son épouse plus que tout autre chose.
- Cette garce ne le mérite même pas! »
cria Andrea, furieuse. « Si elle avait été aussi amoureuse qu'elle le prétend, elle aurait trouvé la force de résister à la corruption de la Bête!
- Andrea tu es injuste. Tu sais bien que ce n'est pas possible...
- Tout est possible, petite mère. Regarde, vous êtes bien en train d'accomplir l'impossible tous les deux. Vous êtes si forts ensemble, si...Complets.
- Autant que peuvent l'être deux nécromanciens qui se font confiance, mon amour. Rien d'autre.
- C'est de quelqu'un comme toi dont il a besoin petite mère. Je sais que j'ai raison.
- Cesse de faire l'enfant Andrea. Il y a plus important à faire que de parler de choses qui n'existent pas. Tu iras voir Alex puis John et tu te feras ma messagère au Promontoire. Et cesses de mettre des sornettes dans ta jolie tête, c'est compris? »


Le ton d'Amarane était doux, son expression souriante mais au fond des yeux dansait une lueur froide qui ne souffrait aucun refus. L'envoûteuse connaissait suffisamment bien ce regard pour se garder d'insister. Elle baissa les yeux, écoutant sa tutrice lui donnait les détails de ses prochaines rencontres, acquiesçant, demandant des précisions.

Le ton de la nécromancienne était de nouveau ce filet suave et velouté qu'on lui connaissait bien. Derrière les lunettes, le regard était de nouveau vif, déterminé, plus dur qu'auparavant, tantôt caressant, tantôt étincelant. Andrea retrouvait la femme qu'elle avait connue mais quelques détails affleuraient, la laissant perplexe sans qu'elle puisse réellement cerner pourquoi. Un sentiment de malaise l'envahissait peu à peu et c'est presque soulagée qu'elle vit Amarane actionner de nouveaux les puissantes protections menant à la crypte.

Attrapant une pomme, elle croqua dedans avec vigueur, attendant que son géniteur daigne venir jusqu'à elle.
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:15

"Mater sabbat, fleur de géhenne
D’un ruisseau blême empli de veines
La torche rend un œil dément
Je sens le sang du corps d’Onan

Nourri le vin sacré des monstres
Défend l’étang au fond du corps
Piémont ultime d’un corps aride
Je prends l’épée nourrie de rides

Heaume de chair, rempart nacré
Je prends le vent du mont de chair
Lubrique houle au fer sacré
Volant dans l’air vicié des sens

Terre de feu dans mon esprit
Prométhée d’une extase noble
Je sens le lieu par sa présence
Fouettant les sens qui me transcendent"


-Heaume de Lichen de Stille Volk


Amarane avait nettoyée l'ancien laboratoire de Savaric laissé à l'abandon. Elle se serait sans doute un peu plus sentie à l'aise dans un environnement plus neutre que cette salle voûtée sombre et un peu sinistre mais ce n'était pas le moment de faire la fine bouche. Elle jeta un regard sur le grimoire posé sur le lutrin à côté d'elle, mémorisant les derniers détails du sort qu'elle allait lancer, geste un peu machinal destinée à la rassurer car elle l'avait tant étudiée qu'elle le connaissait quasiment par coeur. Son regard se porta alors vers l'homme attaché sur la table de pierre qui la regardait les yeux agrandis par la peur. Les bubons de la peste déformaient ses aines et ses aisselles en de profonds sillons purulents. Le fait qu'il soit contaminé servait ses intérêts et d'un point de vue pratique, cet homme était condamné, elle n'avait donc pas de scrupules à l'utiliser pour satisfaire ses propres besoins.

Ouvrant la sacoche de cuir, elle laisser errer son regard sur les différents instruments alignés qu'elle recelait. Il avait fallu les nettoyer mais l'excellente qualité des matériaux utilisés pour les forger les avaient préservés des ravages du temps. Avisant un scalpel, elle commença à tracer les runes compliquées à différents endroits du corps de sa victime en l'ayant au préalable baillonnée. L'élonienne savait que Faendyr travaillait non loin et ne souhaitait pas le déranger, ni finir sourde à cause des hurlements qui n'auraient pas manqué de se faire entendre. C'était une tâche ingrate et inhumaine, elle en avait parfaitement conscience. La souffrance et la peur de sa victime étaient nécessaires pour le rite qu'elle allait accomplir, Amarane ne pouvait donc pas adoucir le sort de ce pauvre hère. De toute façon, de manière pragmatique, il allait mourir dans d'atroces souffrances étant atteint de la peste, autant que sa mort lui soit utile.

Concentrée, la jeune femme s'efforçait d'exécuter le travail le plus précis possible, la peau de l'être humain sur la table devenant un simple support. Elle pratiqua également les entailles profondes à des points précis, dévoilant muscles, tendons et parfois organes qui seraient autant de points d'entrée énergétiques. Elle s'assurait que l'homme reste bien conscient et en vie, ses connaissances alchimiques -et parfois de simples sels- lui servant à le ramener.

Attirés par le festin à venir, déjà les âmes tourmentés de Savaric se pressaient autour du laboratoire, affamées. Amarane se concentra sur les runes qui lui servaient à connecter son énergie avec celle de l'homme, créant un canal de "sympathie" -au sens premier du terme*. La douleur monta en elle, enfla pour devenir insupportable, la bouche de la nécromancienne s'ouvrit en un long hurlement silencieux tandis qu'elle éprouvait chacune de ses blessures mais aussi du terrible mal qui le rongeait. Elle s'accaparait désormais tout cela, faisant couler dans ses veines l'immonde putrescence, faisant entrer dans chacun de ses muscles, de ses organes les plaies infligées. Incantant dans la langue gutturale propre à l'art qu'elle exerçait, elle mobilisa tout son pouvoir pour transformer ces énergies. La douleur devint apaisement, les plaies devinrent force de soin, les tortures se muèrent en autant de bienfaits, se nichant dans chaque partie de son corps qui en avait besoin.

Amarane avait transformé le pire en meilleur, l'immonde en bienfaisance, la maladie en force vitale. Dans le processus, l'homme n'avait pas pu résister, rendant son dernier soupir. La magie de la nécromancienne était encore trop brute, il lui faudrait beaucoup de pratique et d'expérience pour l'affiner et prétendre un jour pouvoir rivaliser avec le génie de Savaric. Elle administra les derniers sacrements à sa pauvre victime, pria longuement pour que son esprit rejoigne l'Etreinte du Sombre Seigneur, il était inacceptable que son esprit erre parce qu'elle se serait montrée négligente.

L'élonienne était plutôt satisfaite de cette expérience. Ses études portaient leurs fruits. Une énergie nouvelle courrait dans ses veines et se concentrait sur ce côté droit si durement atteint lors de l'accident. Faendyr l'aiderait à déposer le corps en quelque endroit discret, l'épidémie ambiante compterait une nouvelle perte parmi tant d'autres. Un concours de circonstances malheureux mais qui arrangeait bien ses affaires.

S'appuyant lourdement sur son bâton, trainant encore sa jambe, enveloppa le corps dans un linceul, nettoya ses outils puis la table, brûlant un peu de lavande et de sauge pour purifier l'air. Mouchant les bougies sur le candélabre, elle sortit peu de temps après et se dirigea vers le lieu qui leur servait d'étude.

La mort s'était faite vie, le mal était devenu bienfait, l'équilibre était respecté. La prêtresse de Grenth était en paix.

(* sympathie: sym, pathos "souffrir avec")
Amarane Ytagre


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Message par Amarane Ytagre Jeu 22 Juin 2017 - 16:15


Nothing
Now that I have nothing
I resolve to be nothing
Nothing to harm me, nothing to gain
I resolve to be nothing



Amarane sentit une fleur d'un des nombreux bouquets parsemant la pièce, arrangea un livre sur une étagère qui n'en avait pas besoin sous le regard calme mais attentif de la vieille élonienne qui entretenait sa maison mais surtout était devenue sa confidente et amie.

"Meryem, je m'ennuie.", finit par lâcher la jeune femme.

Un grognement lui répondit. Depuis qu'elles étaient devenues proches, Meryem pestait reprochant à Amarane de s'enfermer des jours et nuits entiers dans le petit laboratoire d'alchimie au sous-sol ou seulement dans sa maison, ne voyant personne.

La prêtresse secoua la tête. "Non, pas de mon étude, ni de mon office de prêtre, encore moins des attentions dont j'essaie d'entourer ceux qui en ont besoin...Je m'ennuie des gens..."

Tout en pelant les légumes, la vieille femme se demandait quelle lubie encore venait de saisir sa protégée. Au quotidien, il lui avait été permis de voir combien Amarane pouvait se révéler fragile et surtout indécise. elle papillonnait d'une activité à l'autre, sans réellement en choisir une, sans avoir de but précis, reproduisant des schémas d'émotions qu'elle n'éprouvait pas. Pour les êtres, c'était absolument pareil, Amarane n'avait pas réellement d'amis ou de gens sur lesquels elle pouvait s'appuyer, ne ressentant rien pour personne.

"Le Vicomte m'a dit que relâcher la pression est une bonne chose mais que je ne devais pas me brûler les ailes. Etonnante expression n'est ce pas?"

Le Vicomte. Le pire cauchemar de Meryem. Cet homme qui arpentait cette demeure comme s'il était chez lui et pourtant bien incapable de donner à Amarane ce qu'elle désirait inconsciemment. Tant qu'il serait là, sa protégée ne pourrait pas réellement avancer ou se construire. De plus, il entretenait la nécromancienne dans son inhumanité tandis qu'elle l'assistait dans cette quête insensée destinée à sauver l'épouse de ce sombre sire. Non, Meryem n'appréciait pas du tout le Vicomte Faendyr Arawn...

"Tu sais Meryem, tu m'obliges à sortir et à voir du monde mais je crois que ce n'est plus ce que je désire. Je voudrais..."

Le couteau s'immobilisa au milieu des épluchures. Se pourrait-il que cette pauvre enfant émit enfin un souhait pour elle-même?

Amarane fronça les sourcils. "J'ai perdu la main je crois. Avant cette maison était tout le temps pleine, aujourd'hui je n'aspire qu'à la voir vide. Les gens me croisent mais ne me voient pas et j'ai de plus en plus de mal à jouer mon rôle. Si la solitude n'est pas une maladie honteuse, elle est drôlement pesante..." Les yeux saphirs s'embuèrent. "Draseth me manque, Meryem. Il ne se passe pas un seul jour sans que je ne pense à lui. Que le Sombre Seigneur me pardonne, mais j'aimerai qu'il soit encore en vie. Lui saurait quoi faire."

Meryem leva les yeux au ciel. Cette maison était pleine de fantômes, de défunts et de souvenirs. Une atmosphère qui faisait parfois froid dans le dos même si la vieille élonienne ne redoutait plus depuis longtemps ce genre de choses. Amarane vivait au milieu d'un cimetière, ignorant que juste à côté d'elle, des gens évoluaient sous un soleil éclatant.

"C'est la fin d'une époque Meryem. Je songe très sérieusement à me retirer du siècle et à devenir une veuve de Grenth."

Ce n'était pas la première fois que de telles paroles étaient prononcées... Depuis quelques temps, Amarane émettait le souhait de lier son existence ici-bàs à la seule adoration de Grenth, lui donnant son corps physique en plus de son âme, le soumettant à une chasteté stricte. Les prêtresses qui faisaient ce choix étaient appelées les Veuves de Grenth. Privée d'émotions, entretenue dans une sorte d'exaltation mystique doublée de fanatisme, Meryem redoutait que sa protégée ne sombre.

Visiblement, elle semblait être la seule à faire ce constat et cela la navrait.

"Je vais descendre travailler un peu" finit par lâcher doucement Amarane. "A tout à l'heure ou à demain Meryem."

Actionnant le mécanisme secret qui dévoilait la volée de marche plongeant dans les ténèbres, la petite silhouette boîteuse disparut rapidement. La vieille femme soupira. Elle n'était pas du tout confiante en l'avenir....
Amarane Ytagre


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