Riterild Gaefa

Pourquoi y tiens tu à ce point? Tu aimes ça, recevoir des ordres de plus petits que toi?

La Norn aux cheveux couleur nacre s'éloigne de sa sœur avec un petit sourire. Elle prend en main une des créations inachevées de sa mère, posée sur un bureau entre des esquisses au fusain et des outils soigneusement entreposés.
L’aînée, arborant un tatouage sur les yeux et soulignant ses yeux, se contente de fixer le mur tapissé de fourrures. Après un moment elle serre légèrement la mâchoire, puis répond.

-Si je dois passer par un Ordre pour apporter quelque chose à la Tyrie, je le ferai. Contente toi de chasser les dolyaks et de tailler des arcs si c'est ce que tu souhaites.

La grande Norn repose le bijou là ou elle l'a trouvé et se retourne, pour prendre un air faussement outré, avisant le Corbeau avec une grimace.

-En plein cœur, vraiment tu m'as habituée à mieux. D'habitude tu détruis les arguments des autres avec plus...de grâce.
-La grâce n'a rien à voir avec un engagement aussi important, petite sœur.

La visée se contente de sourire en haussant les épaules, l'air nonchalant. Elle vient ensuite s’asseoir à côté de la Norn aux cheveux noirs, près de l'âtre qui réchauffe le pavillon.

-Excuse moi, c'est juste que ça me parait tellement incompatible avec...avec ce que tu disais il y a quelques années. Tu peux combattre la corruption draconnique et les Svanirs sans t'enfermer dans une hiérarchie. toute cette politique, c'est fatigant.

Elle se passe la main sur le scalp et marque une courte pause avant de continuer.

Avec tes capacités, tu peux juste parcourir les routes et être là où ça compte vraiment, apprendre par toi même.

La fille du Corbeau fait signe à la fille de la Panthère de se rapprocher. Cette dernière obtempère, et elle se place dans son dos, posant son menton sur l'épaule de la gardienne aux cheveux de jais.

-C'est ce que je veux, et ce que je dois faire. Le Pacte compte parmi les meilleurs guerriers de nos temps, je dois apprendre auprès d'eux, quitte à accepter quelques sacrifices. Tant pis si on me prend pour une messagère ou un porte-manteau au début.

Elle sourit et va chercher la main de sa jeune sœur pour la placer au plus près d'elle, serrant sa main et profitant de la fin de soirée à Hoelbrak.

Le pavillon est calme, aucun félin à l'horizon ni propriétaire des lieux en vue. Une lumière diffuse de début de matinée filtre à travers les petites mais hautes fenêtres orientées sur la face du bâtiment. Des braises refroidissent lentement dans l'âtre au milieu de cendres parsemées de tâches rougeoyantes. Une fille du Corbeau pousse du coude l'une des portes de bois. Elle rentre et se dépêche de referme derrière elle, sentant dans son dos et sur sa nuque l'air des Cimes aspirer la chaleur ambiante.

La Norne se retourne ensuite, du coin de l’œil embrasse la large pièce, puis se dirige vers un large panneau en bois peint, représentant les contreforts enneigés d'une vallée proche. Elle passe sur le côté et aperçoit un lit bien ordonné, des fourrures soigneusement placées pour couvrir le plus de surface, un tabouret et une table d'écriture, une large malle sans loquet, un râtelier d'armures et un autre horizontal d'armes. Un ensemble complet en écailles et en plaques gris sombre rehaussé de lignes dorées y est exposé, un pavois des Veilleurs trône non loin. La fille d'Hoelbrak passe alors la main gauche par dessus sa tête, et saisit l'un des deux fourreaux accroché sur son dos. Elle passe l'ensemble devant elle, et de sa main libre retire la lame en acier à large pommeau de son réceptacle. La Norne dépose ensuite presque délicatement la lame tout juste polie sur deux crochets libres, entre une épée longue et une bâtarde. Elle prend le temps de réajuster son placement et, satisfaite, elle ouvre la malle et y glisse le fourreau en cuir durci.

Un nouveau sifflement d'air se fait entendre dans le pavillon, alors qu'une silhouette plus tassée et plus grisonnante que la précédente s'engouffre à l'intérieur.

-Rité ? Rhelit ? demande une voix tempérée de Norne

-Je suis là.
Le Corbeau relève le nez, joue de l'épaule pour replacer son fourreau dorsal restant puis se montre à l'autre Norne, un sourire discret aux lèvres.
Et je repars.

-Et où vas tu comme ça, petite corneille?

-M'entraîner, quoi d'autre? lâche-t-elle d'un ton amusé.

La bijoutière regarde sa fille lui passer sous le nez puis sortir sans rien ajouter, son œil étant attiré par la garde de la lame dépassant de l'épaule de la gardienne. Court et finement dessiné,
le reflet qu'il attrape trahis sa composition en orichalque ou en alliage de celui-ci. Sa réaction se bornera à relever les narines et souffler du nez, juste avant que la jeune Norne ne sorte pour rejoindre les hauteurs d'Hoelbrak.

Maerny. Ma commande est arrivée?

La skaald blonde, assise dans le Pavillon du Corbeau presque vide en cet après midi, relève ses yeux vers la Norne en face d'elle. Reconnaissant le visage, Maerny se relève et vient étreindre rapidement la fille du Corbeau.

-Tu parles de la douzaine de tomes, dont certains rares et qui auraient plutôt leur place au Prieuré de Durmand? Ce n'est pas moi qui les écrit. dit-elle d'un air moqueur

La Norne aux cheveux de jais brise l'accolade, et plisse légèrement les yeux. Sa main gauche vient effleurer l'ornement en forme de tête de flèche qui boucle sa ceinture.

-Tes amis sont trop occupés à compter leurs pièces d'or?

La blonde secoue la tête, le sourire toujours aux lèvres

-Il n'ont pas besoin d'excuses pour faire ça. Tant qu'ils pensent à partager, tout se passe bien; d'habitude ce sont eux qui ont des livres, pas moi. Elle penche légèrement la tête sur le côté avant de reprendre
Pourquoi ce regain d'intérêt, tout à coup ? Il me semble bien que tu es meilleure pour écouter que pour lire, fille du Corbeau.

-La curiosité.

-Un Corbeau lacunaire qui me lance des évidences. Je vais en parler à ton mentor, elle s'occupera de ton châtiment. La skaald part d'un rire puissant qui résonne dans le hall

-C'est pour elle autant que pour moi que je commande.

-Mijika? Elle déteste les livres!

-Et pourtant elle a appris à lire et possède des volumes anciens sur la magie gardienne. Mon apprentissage n'ira que plus vite si je profite de ce qui a été laissé par d'autres.

-On dirait que tu as retenu quelques unes de mes histoires ! Maenyr pouffe en soufflant par le nez
Il est vrai que parmi nous, les gardiens sont rares. La Louve est une des plus connues et des plus vieilles qui parcourt la Tyrie. Tu as bien choisi, de lier ta légende à la sienne.

-Je ne fais pas devenue son apprentie pour profiter de sa légende.

-Oh, tu profites aussi de ses autres talents? Je ne crois pas l'avoir entendu s'être vantée d'avoir mis une Gaefa dans son lit.

Riterild reste de marbre et répond

-J'apprend tout ce que je peux. La voie du gardien est une piste complexe.

-J'ai cru comprendre. Et ceux que tu étais allé voir au Promontoire Divin, chamans des Esprits de l'Action, ils ne t'ont rien appris sur l'art d'être une gardienne ?

-Ils ont répondu à certains questionnements et en ont ouvert d'autres. La foi, la vérité, la volonté. Des réflexions intéressantes.
La jeune Norne balaya les alentours du regard, puis repris
Il est temps pour moi de reprendre l'entrainement. Méditation et lecture, jusqu'à ce que la Louve soit satisfaite.

-Amuse toi bien, petite Corneille.

Riterild sourit en coin en se retournant et sors du Pavillon d'un pas mesuré, foulant des marches usées par le passage des Chamans, des voyageurs et des Norns. Elle se dirige alors vers le lac gelé, retrouver la trace laissée sur la rive par ses genoux enserrés d'acier.