-40%
Le deal à ne pas rater :
Tefal Ingenio Emotion – Batterie de cuisine 10 pièces (induction, ...
59.99 € 99.99 €
Voir le deal

Perdition

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas

Perdition Empty Perdition

Message par Kausken R. Dasveltar Mer 4 Oct 2017 - 3:31

Le froissement aqueux du ressac emplissait la baie de son balancier incessant. Il faisait froid. Si froid…
Un soleil de plomb à son zénith me dominait lorsque j’ouvris les yeux. Vertige. Je me sentais accablé, lourd, pataud. Le moindre de mes gestes me demandait un effort considérable, quand bien même il s’agissait d’élever un doigt. Tourner la tête était une torture, mouvoir mes jambes m’était quasiment impossible. Et ce bras droit m’handicapant depuis si longtemps déjà avait choisi d’abandonner la lutte, inerte. Des bribes de souvenirs me parvenaient telles des lueurs soudaines, aveuglantes. Un mât arraché, la voilure déchirée, les craquements sinistres d’une coque éventrée, des hurlements… Tant de hurlements. Les minutes s’égrenèrent, épiées par l’astre d’or dont la passion incendiait mes yeux. J’étais désemparé. Le silence, torpide, poignant, me condamnait à une nuée d’incertitudes et de cauchemars dont je ne pouvais m’échapper. Quelle force surnaturelle m’a soulevé de mon gisement passif ? Quelle intention perfide m’a arraché à cette vergue fendue qui côtoyait mes chairs de trop près ? Un giclement écarlate empourpra le pont fatigué de sa mésaventure, et l’inclinaison de ce dernier me déséquilibra, si bien qu’il me fallut me jeter contre ces planches harassées que je venais tout juste de quitter. Pathétique. Ma gorge protestait dès qu’un mouvement tourmentait mon corps en morceaux. A genoux. L’on m’avait mis à genoux. Et je ne digérais pas cet échec. Prostré — plusieurs secondes ? minutes ? éternités ? — je me sentais périr à petit feu. Pour rien au monde je n’aurais souhaité me confronter encore à cette sensation si familière, et si repoussante à la fois.

Un instant d’inconscience me fit lever le regard sur cette carcasse maritime, ballotée par la houle puissante, vestige d’une tempête que l’infortune cynique aura menée sur notre voie. Mes prunelles, embuées par l’épuisement, la soif, la consternation, balayèrent les alentours avec cette avidité craintive qui bousculait mon cœur. Je percevais la proue, bien loin de là où elle aurait dû être, échouée contre la roche fouettée par les vagues insolentes. Depuis ma position, les dépouilles de mes frères semblaient barboter dans l’onde de rouge teintée. L’écume elle-même recrachait les fluides carminés de notre déchéance sur ce sable grossier. Espérai-je encore que mes camarades bleuis par l’asphyxie redressent la tête de ces flots dont la berceuse envahissait mes songes depuis toujours ? Non. Je n’avais plus cet optimisme stupide, cette conviction trompeuse des hommes dans la fleur de l’âge. Je n’étais pas aussi naïf, pas aussi candide, pas aussi simplet. Tous avaient succombé à l’appel effroyable des moissonneurs de la nuit éternelle. Et moi ? Pourquoi m’avais-tu encore refusé tes festins ?

Une colère sourde, glaciale, dont la tension soutenue me fit me redresser sur mes jambes, m’emplit. S’Il ne voulait pas de moi, je n’irais plus à Lui. Et ce seul fanatisme m’incita à me ruer vers la cabine du capitaine disparu, cagibi qui scindait la coursive extérieure en deux. Trop empressé, trop emporté pour faire preuve de délicatesse, mon épaule massive s’écrasa avec la vigueur lasse d’un homme détruit qui se jette contre une porte close. Elle céda et m’emporta dans son ouverture subite. Un réflexe me protégea d’un embrochage malheureux sur le pied d’un siège effronté qui me narguait. Cette remise était le témoignage même de la véhémence du naufrage. Déblayant le mobilier rompu, je me mis en quête d’un objet de valeur. Avais-je seulement une idée de ce que mon corps faible aurait pu emporter ? Et où ? Ces questions ne me taraudèrent pas encore, j’étais aveuglé, chaviré, et insensés furent mes gestes et décisions dès lors. J’arrachai un rideau pour le nouer autour de mon flanc transpercé, que l’air iodé muait en brasier ardent...

Me voilà revenu sur ce pont désuni, dont les fondations, telles des côtes humaines, pointaient le rivage sablonneux. Et mon flanc de me lancer, vicieux, à l’idée de me laisser choir dans les eaux souillées des humeurs de mes compagnons. Avais-je seulement le choix ? Les minutes étaient comptées. Je fis le pas qui me projeta dans ces flots rosâtres.

Je me noyai. Ayant perdu l’usage de l’un de mes membres, ma chair ouverte me privant des mouvements les plus élémentaires, je ne parvins pas à remonter à la surface. Et les lueurs solaires reflétées sur ce miroir ondulant se moquaient de moi, tant elles semblaient proches mais inaccessibles. Les dés semblaient d’ores et déjà jetés. Et le second de s’en aller rejoindre ses collègues dans l’inconscience d’un geste qui, s’il ne lui a sauvé la vie, la lui aura prise…
Un courant aussi puissant qu’imprévu me poussa pourtant contre le rempart aréneux de la plage, tandis que ma vision s’était bientôt obscurcie. La vague m’ayant accompagnée me rejeta sur la surface râpeuse du rivage et m’y abandonna sans plus de cérémonie. J’étouffai. Des grains de sable irritaient ma gorge, et je toussai à en cracher mes poumons ayant accueilli une bonne lampée d’eau salée. Alors que mon corps se secouait de spasmes saccadés, mes entrailles sanguinolentes me rappelèrent bien vite à l’ordre. L’iode naturelle causait la pire des douleurs et irradiait ma hanche, et je décidai de l’éloigner des flots acides qui la maltraitaient en me relevant. Vacillant sur ce sol meuble dans lequel mes pieds nus s’enfonçaient sans vergogne, il me fallut quelques longues secondes pour me remettre de cette ivresse maladive et me repérer. Les côtes de la Mer des Lamentations n’avaient aucun secret pour moi, je les avais tant arpentées que quelques instants me suffirent à comprendre la détresse de ma situation. La Marée Sanglante. J’avais fini ma course effrénée et infernale sur la pointe de Jelako, où nous avions auparavant échangé des prisonniers auprès de notre clientèle sylvari. Et cette avancée de terre ne rejoignait aucun continent autrement que par la voie maritime.

Et les interrogations se firent plus virulentes que jamais, à cet instant.
Kausken R. Dasveltar
Kausken R. Dasveltar
Administrateur

Messages : 361
Age : 29

Revenir en haut Aller en bas

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum